“Les médias reflètent ce que disent les gens, les gens reflètent ce que disent les médias.” Amin Maalouf
Pourquoi les images de la grève à la SNCF et à la RATP font-elles autant la Une des médias ?
Depuis quelques jours, la Grève dans les transports occupe la majorité de l’espace médiatique disponible. Les JT lui sont quasi-intégralement consacrés. Pourquoi les images de grèves font-elles ainsi systématiquement la Une des médias en se résumant largement aux images de difficultés rencontrées dans les transports en commun ?
D’abord, parce que cette grève nuit à quelque chose qui nous touche au quotidien : les transports en commun. Les Français sont unanimes, à chaque fois qu’ils sont interrogés, ils ont le sentiment que « les transports c’est la galère ».
Cette grève a donné lieu à des trains annulés et par conséquent des retards pour des milliers de personnes. Autant de récits de vie touchants faciles à trouver et donc à faire partager à un micro ou devant une caméra de télévision, lorsque vous êtes un journaliste. Des récits basés sur l’émotion, la colère de perdre du temps, la tristesse de ne pas pouvoir retrouver sa famille, …
Bien sûr, chacun s’attend à ce que les usagers se plaignent face à une grève. Plus ou moins facile à anticiper du point de vue de la communication de crise de la compagnie. Ce n’est a priori pas le plus imprévisible dans la gestion de cette crise.
Mais les images de quais et de wagons surpeuplés et de personnes se battant pour rentrer dans les trains font les gros titres depuis plusieurs jours, ce qui est un préjudice d’image évident pour la SNCF, comme pour la RATP, qui ont tenté de déployer une communication de crise afin d’y faire face. Le Patron de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, a ainsi appelé les grévistes de la compagnie à respecter une trêve de quelques jours afin de ne pas durablement creuser le fossé avec l’opinion publique.
Un sondage réalisé le 19 décembre 2019 par Harris Interactive révèle en effet qu’indépendamment de leur jugement à l’égard de la mobilisation, 68% des Français souhaitent qu’il y ait une trêve à Noël (-1 depuis lundi dernier). Un tiers d’entre eux se déclare inquiet en pensant au fait de pouvoir prendre le train au cours des fêtes de Noël.
Pourquoi ces problèmes dans les transports en commun sont-ils autant à l’ordre du jour des médias nationaux alors que la Grève impacte naturellement d’autres secteurs de l’économie ? D’abord parce que, du point de vue du journaliste qui choisit ce sujet, tout le monde peut s’identifier à ces usagers de la SNCF et de la RATP.
Les téléspectateurs, même ceux qui ne sont pas concernés par ces problèmes de transports en commun, peuvent en effet s’identifier aux gens s’efforçant sans succès de se rendre à leur travail ou de rentrer chez eux.
C’est d’ailleurs là-dessus que s’appuie la stratégie de communication de crise du gouvernement. Faire porter aux grévistes les chapeau d’une fête de Noël gâchées aux yeux de tous. C’est une stratégie politique classique dans le cas d’une telle contestation sociale.
Comme Rédacteur en Chef, mettez-vous un instant à leur place, vous vous dites inévitablement que le récit des « victimes » de la compagnie de chemin de fer privée a évidemment de fortes chances d’attirer l’attention, de faire de l’audience et donc de susciter de l’engagement.
Et un tel récit a encore bien plus de chance d’attirer l’attention quand les méchants sont clairement identifiés. Il y a ici, une évolution intéressante à relever dans le traitement journalistique de la grève. En quelques jours, les méchants n’étaient plus le gouvernement plutôt rigide sur son projet de réforme ou les grévistes à l’origine de ces blocages mais la SNCF. Comment cela s’est-il produit ?
C’est l’annonce par France Bleu Paris de l’annulation du service d’accompagnement Junior & Compagnie du 20 au 24 décembre qui a livré sur un plateau tous les ingrédients d’une histoire attractive médiatiquement construite autour de ces 6000 enfants privés de la magie de Noël alors que contrairement à ce qui a pu être écrit ici ou là, les places pour les enfants #JuniorEtCie n’ont pas été réquisitionnées pour les adultes : il n’a JAMAIS été question de SUPPRIMER ce service, qui représente d’ailleurs 0,5% de l’offre globale des TGV #SNCF pour offrir des places aux adultes.
Dans un contexte de paranoïa généralisée de notre société, il a été difficile pour la SNCF de surmonter l’accusation visant à privilégier le profit au détriment des enfants. Comme toutes les grandes entreprises, la SNCF et la RATP sont soupçonnées par principe de vouloir manipuler l’opinion publique. L’opinion est ainsi méfiante à l’égard de tous les messages diffusés par ces entreprises dont elle cherche systématiquement à traquer les intentions cachées et à décrypter la stratégie de communication de crise afin d’en révéler « une vérité dissimulée ».
Cela a indigné de nombreuses personnes ne comprenant pas pourquoi la SNCF avait supprimé les voitures pour enfants voyageant seuls pendant les fêtes. Ces derniers partageant leur mécontentement sur Twitter & Facebook notamment, causant temporairement un préjudice d’image et de réputation à la SNCF qui a tenté d’imposer ses messages face à ceux de ses détracteurs avec une ligne directrice : sécurité des passagers et mobilisation des moyens disponibles afin d’assurer la continuité de service la plus grande possible dans ces conditions.
Les hommes et femmes politiques pratiquant constamment le newshacking (la réaction intempestive à l’actualité afin d’être cités dans les médias) n’ont évidemment pas manqué de réagir. « Scandaleux » pour Philippe Martinez, le patron de la CGT, « Scandale » pour le président du conseil régional des Hauts-de-France, Xavier Bertrand…
Devant cette mobilisation populaire, la SNCF finira par annoncer qu’elle met à disposition 5.000 places dans 14 TGV exceptionnels dimanche pour les enfants de 4 à 14 ans devant voyager seuls. Cette annonce de la directrice générale de SNCF Voyages, Rachel Picard, au cours d’un point de presse dédié, est un moyen de surmonter la crise née de la polémique autour de la décision de priver de trains 5.000 enfants devant voyager accompagnés, en raison de la grève contre la réforme des retraites.
Cet exemple illustre une nouvelle fois que la communication de crise, c’est évidemment anticiper le choix des sujets des journalistes et le traitement médiatique qui en sera fait mais aussi être prêts à riposter afin de lutter efficacement contre les fausses informations qui pourraient être diffusées à votre détriment.