Buitoni pizza

Adieu pizzas

Le temps ne fait rien à l’affaire. « Avec le temps, va, tout s’en va » ? Un dicton vain en com’ de crise. Attendre que l’orage passe ne suffit pas. Prenons le cas de Nestlé, qui n’a pas réussi à sauver les pizzas de sa filiale Buitoni du drame sanitaire qui, début 2022, a provoqué la mort de deux enfants et de graves séquelles chez une cinquantaine d’autres.

À l’automne 2022, le leader mondial de l’agroalimentaire tente encore de garder un silence obstiné. Confiant, il rouvre même partiellement son usine de Caudry, celle où ont été fabriquées les pizzas contaminées. Mais comment gérer l’impact désastreux et récurrent des témoignages des victimes, régulièrement publiés par la presse jusqu’à début 2023, un an après le drame ? Comme les parents de ce petit garçon qui racontent comment leur fils, atteint d’insuffisance rénale après une bouchée de pizza – la plus grave conséquence de la contamination à la bactérie E. coli – en restera affecté à vie. De quoi torpiller une marque définitivement.

Les lignes de production de Buitoni ont beau se remettre en route, les grandes surfaces ne veulent plus de ses pizzas. Elles constatent la méfiance persistante de leurs clients. Fin mars 2023, le géant suisse, forcé de constater l’effondrement des commandes, se résigne. Rien ne pourra jamais restaurer l’image de ses Fraîch’Up. Changement de cap : exit la marque et exit l’usine de Caudry, dont Nestlé annonce en mars 2023 la fermeture définitive. Dans la foulée, l’industriel signe un accord financier pour indemniser 63 familles de victimes, qui toucheront plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de milliers d’euros, selon la presse, en fonction de la gravité des cas. Ce qui ne préjuge pas d’un éventuel procès contre Nestlé. Cet accord « à l’américaine », qui devance un procès, est inédit en France.

Nestlé laisse l’information émerger, en gage de sa bonne foi. La présidente de Nestlé France, Muriel Lienau, exprime dans les colonnes du Parisien ses « plus profonds regrets », confirme l’accord et dit mettre tout en œuvre pour qu’un tel événement ne puisse jamais se reproduire. Non seulement Nestlé offre une indemnisation probablement supérieure à ce qu’elle devrait verser sur les bancs d’un tribunal, mais surtout reconnaît aux intoxiqués le statut de victimes, ainsi que sa responsabilité. L’initiative est indispensable pour enfin tourner la page. Autre avantage, l’accord exige des familles un silence médiatique. Le répit est salvateur, après l’annonce de la fermeture de l’usine qui, autre crise à gérer, laisse sur le carreau 140 salariés, abondamment interrogés par la presse.

C’est un cloisonnement sanitaire. Mieux vaut sacrifier les pizzas Buitoni que de voir Nestlé tout entier entraîné dans le naufrage. Il n’est que temps, car toute la gamme Buitoni commence à pâtir de l’affaire. Sous couvert d’anonymat, le patron d’un grand groupe de distribution déclare qu’au plus fort de la crise sanitaire, « les pizzas se vendaient si mal qu’il a fini par les retirer, ainsi que tous les autres produits Buitoni, avant de les réintroduire au compte-gouttes ensuite ».

La crise a même affecté l’ensemble du marché des pizzas surgelées, dont les ventes ont chuté de 22 % au premier trimestre 2023, toutes marques confondues, selon l’institut Circana ! C’est l’une des premières fois qu’un secteur entier chute durablement, sans que le consommateur ne retrouve ses anciennes habitudes. Face à des Français d’autant plus remués que ces produits sont très appréciés de leurs enfants, Nestlé aurait dû communiquer plus vite et prendre sa part de responsabilité. En tergiversant, il a brisé le lien de confiance avec ses clients.

Encore aujourd’hui, Nestlé argue d’une « contamination de la farine » comme explication « la plus probable » de la présence de la bactérie dans ses pizzas, tandis que des inspections sanitaires ont mis en évidence « la présence de rongeurs » et le « manque d’entretien et de nettoyage des zones de fabrication », dixit la préfecture. Une information judiciaire est ouverte depuis mai 2023 pour homicide involontaire et blessures involontaires. La guerre réputationnelle est loin d’être terminée.

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