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Verdir à tout prix ?

Sur les questions d’environnement, je distingue deux grandes catégories de marques. Les premières transforment leur modèle pour l’aligner sur l’image qu’elles veulent avoir. C’est le cas par exemple de la société californienne Patagonia, qui depuis près de cinquante ans s’engage sur tous les fronts, de la protection des animaux à la promotion des énergies renouvelables et du recyclage. L’entreprise se place sur un créneau haut de gamme, avec des prix plutôt élevés, mais promet en échange une révolution écologique. Patagonia a même décidé de confier son entreprise à deux fonds chargés de consacrer ses bénéfices à l’environnement. Le succès de la marque démontre la justesse de ses choix.

À l’inverse, j’ai vu des marques, que ce soit dans l’immobilier, la chimie ou l’alimentaire, chercher à prouver leur vertu, alors que toute leur activité apparaissait aux yeux d’une partie du public comme nuisant structurellement à l’environnement. N’importe quel observateur peut percevoir la duperie de leur position et l’aspect artificiel de leur discours. Prenons l’exemple d’un promoteur immobilier qui artificialise les sols. Pour affirmer son engagement écologique, tout en assumant son métier, il peut se lancer dans la rénovation massive de bâtiments.

Mais beaucoup d’entreprises se contentent de faire valoir des opérations de compensation de leur activité, en complet décalage avec l’opinion publique, très sceptique sur cette démarche. L’unique moyen est en réalité de faire évoluer son modèle. J’ai dû l’expliquer à des banques qui voulaient apparaître comme vertueuses, tout en continuant à financer les activités les plus nocives pour l’environnement – souvent particulièrement lucratives. Mais si mon rôle consiste à accompagner le récit des décisions qui sont prises, je dois mettre en garde contre des discours contradictoires. Si des banques veulent que leur image change, elles doivent opérer des changements concrets. Cette prise de conscience émerge enfin. Certains établissements bancaires renoncent à financer des secteurs jugés nuisibles. Ou plus exactement, promettent d’arrêter, dans un avenir pas toujours défini… Le Crédit Mutuel Arkéa a été pionnier dans l’annonce de prêts à impact dont le taux est lié à leur performance environnementale. Des audits montrent que de plus en plus de banques modifient leur modèle pour améliorer leur image, sous la pression de l’opinion. La menace réputationnelle ayant aussi un impact potentiel sur la performance de leur valorisation. Les acteurs de la communication sont aussi des agents du changement.

J’ai assisté au même phénomène pour le marketing bio, avec des groupes agroalimentaires qui surenchérissent de produits soi-disant bons pour la santé. Longtemps il leur suffisait d’afficher des taux un peu plus bas en sel ou en sucre, ou encore de vanter des produits light. Puis ils ont dû se conformer au Nutri-Score, bilan qui a ses limites mais a permis aux Français de se repérer. Ce cadre bien huilé a soudain été bouleversé par le succès de l’application Yuka. Son fonctionnement est simple : le consommateur scanne le code-barres d’un produit avec son smartphone, Yuka affiche une note nutritionnelle globale et analyse les ingrédients, pour identifier les plus sains. Plus disruptif encore, l’appli conseille des produits concurrents au score plus élevé. Des millions de Français se sont mis à suivre ces recommandations. Déstabilisées, des grandes marques ont vu leurs clients changer d’habitudes. Leur premier réflexe a été de vouloir attaquer Yuka en justice pour préjudice commercial. Finalement, un dialogue efficace s’est engagé entre les marques et Yuka. Beaucoup ont compris qu’il leur suffisait de retirer certains ingrédients pour rehausser considérablement leur note. Cette communication ciblée a abouti à un changement concret des produits, bénéfique à toutes les parties.

D’autres secteurs préfèrent contre-attaquer, quitte à désinformer. En quelques années, la présence des compagnies pétrolières et leurs dépenses sur les réseaux sociaux se sont accentuées, avec un objectif clair : déstabiliser le consensus scientifique pour réfuter le changement climatique. La journaliste américaine Emily Atkin, auteure de la newsletter Heated, a dévoilé comment l’industrie pétrolière aux États-Unis avait mené des opérations de communication particulièrement offensives début 2021 pour contrer les propositions de Joe Biden visant à encadrer l’extraction de pétrole et de gaz.

Lorsque des entreprises se verdissent sans vergogne, en exagérant des avancées minuscules en victoires écologiques ou en décorant de fleurs un produit polluant, elles risquent un violent retour de bâton, une accusation de greenwashing qui peut être encore plus nuisible pour leur image. Parmi les cas retoqués par l’Ademe ou les ONG, on peut citer Volvic et sa bouteille « végétale », sortie en 2010 dans un spot plein de verdure, alors que seuls 20 % du matériau sont en bioplastique. Ou encore le sucre Daddy, qui affirme que « le sucre est une plante », visuel à l’appui. Tupperware se targue quant à lui de produits « durables ». La marque britannique de jus de fruits Innocent a vu son spot censuré par l’autorité de contrôle de la publicité. Il faut dire que le spot montrait, dans une planète ravagée, une aimable loutre proposer de « réparer la planète » en plantant des arbres, en recyclant et… en buvant des jus de fruits de la marque. Sans oublier ces marques aux discours fumeux ou aux faux engagements, comme McDonald’s qui s’est vanté en 2021 de la suppression des jouets en plastique dans ses menus pour enfant, alors qu’il s’agissait d’une obligation légale imminente.

Face à ces stratégies mêlant greenwashing et désinformation, les activistes du climat mènent une contre-offensive qui utilise les codes des réseaux sociaux, le “greentrolling”. Leurs techniques imitent les trolls sur Internet pour ridiculiser ce qu’ils considèrent comme de la propagande verte. Mèmes, tweets provocateurs, images de catastrophes environnementales et de marées noires viennent contrer des sondages fallacieux lancés par les géants du pétrole et du gaz. Les groupes sont pris à parti publiquement, sur le mode du “name and shame” (nommer pour dénoncer). Les conseillers en gestion de crise doivent désormais anticiper ce risque réputationnel.

Le premier cas d’école remonte à octobre 2019. Un tweet du groupe britannique BP invite les internautes à calculer leurs émissions de CO2 en se rendant sur le calculateur conçu par la compagnie pétrolière. La militante américaine Mary Heglar réplique aussitôt : “Bitch, what’s yours” (« Garce, quelle est la tienne »). Sa répartie déclenche une salve de sarcasmes. Encouragée, la militante étend son action aux autres géants pétroliers.

Mary Heglar

Rebelote en novembre 2020, lorsque le groupe Shell demande publiquement aux internautes « ce qu’ils seraient prêts à faire pour réduire leurs émissions ». Le bâton pour se faire battre… Les écologistes rivalisent de commentaires ironiques et l’élue démocrate Alexandria Ocasio-Cortez leur répond : « Je serais prête à vous tenir responsable d’avoir menti pendant 30 ans sur le changement climatique. »

En France, la boutique française écoresponsable Dream Act et la marque de prêt-à-porter WeDressFair ont utilisé des techniques activistes similaires. La première dénonce chaque mois sur Instagram une marque coupable de greenwashing. La seconde a lancé une campagne de spots provocateurs contre l’usage de pesticides et l’exploitation des ouvriers du textile dans les pays pauvres.

Ce militantisme d’un nouveau genre utilise l’humour et le sarcasme pour alerter les consommateurs. Cette arme peu coûteuse vise aussi à éroder la réputation des entreprises, à leur retirer leur « permis social d’opérer », leur légitimité même à exister. L’enjeu est tel qu’en 2019, pour la deuxième année consécutive, cette menace réputationnelle a été désignée comme risque numéro un de l’industrie minière par le cabinet EY.

Le bilan est sans appel. Plus de 70 % des Français doutent des engagements des entreprises, selon une enquête de Harris Interactive de février 2022, et prennent l’habitude de l’exprimer. Ce ne sont plus seulement les militants, mais de simples internautes qui taclent les campagnes de greenwashing des grandes entreprises, en les interpellant sur les réseaux sociaux. Le “greentrolling” peut, d’autant plus s’il obtient le soutien de personnalités connues, faire bouger la boussole de l’opinion. Aux entreprises de reconquérir sa confiance.

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