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« Réflexe de l’avocat »

Les dirigeants, déstabilisés par de mauvais articles ou sujets télé, ont aussi souvent pour premier réflexe de transmettre le dossier à leurs avocats. Et s’il s’agit d’un cabinet anglo-saxon, son conseil sera très probablement de garder le silence, pour éviter toute poursuite. La culture juridique anglo-saxonne repose en partie sur le fait que celui qui s’exprime publiquement, par exemple en disant se sentir responsable des enfants contaminés par ses produits, ou des clients lésés, en subira les conséquences judiciaires. Cette forme médiatique d’aveu de culpabilité le rend souvent directement civilement ou pénalement responsable. Choix rationnel ? Pas nécessairement. Garder le silence peut être dangereux.Celui qui refuse de répondre, de livrer des documents ou d’ouvrir la porte de son usine suscite le soupçon et peut devenir potentiellement coupable aux yeux des médias. Mais un avocat anglo-saxon aura souvent pour principe de ne jamais faire reconnaître à son client la moindre responsabilité afin de limiter le risque juridique. Y compris lorsque nous, communicants, avons besoin de mettre en scène une entreprise qui assume ses erreurs. J’ai vu des clients confrontés à des crises majeures après avoir diffusé des communiqués d’excuses, qui affirmaient en conclusion que l’entreprise n’avait commis aucune faute et n’avait aucune responsabilité juridique ! Ces entreprises semblaient s’excuser pour mieux ne pas le faire.

L’expert en gestion de crise doit alors convaincre son client d’assumer.
Il lui faut retisser un lien de confiance avec les consommateurs, qui trouvent insupportable d’entendre la marque affirmer son innocence. Une telle déclaration aggrave son cas. Les consommateurs veulent au contraire entendre qu’elle a pris conscience des erreurs commises et s’engage à tout faire pour les réparer et les bannir. Les consommateurs veulent voir la marque mériter leur confiance.

Autre principe, travailler en bonne intelligence avec la presse. La plupart de nos clients disposent d’une direction de la communication qui a noué des liens de confiance avec les journalistes qui couvrent leur secteur. Il n’y a aucune raison de ne pas miser sur ce capital pour établir un dialogue constructif au profit de l’organisation mise en cause.
Mais nous arrivons souvent tardivement, lorsque l’entreprise est déjà engluée dans ses premiers mensonges. Notre premier défi est de collecter l’information, de rechercher la vérité subjective de nos clients et de la mettre en scène.

Nous avons traité, il y a quelques années, l’une des fraudes au vin les plus massives jamais repérées en France. Rien ne serait arrivé sans la vengeance féroce d’un salarié qui s’était vu refuser une modeste prime. Cette maison aux appellations prestigieuses affichait une réussite éclatante. Son dynamique patron avait construit rapidement un empire du vin. On le voyait sillonner en voitures de luxe sur les routes du Dijonnais. Ce milieu si fermé lui avait ouvert les bras, au point de le choisir comme vice-président de l’interprofession. Une reconnaissance triomphale. Sauf qu’un jour, il refuse à un informaticien l’augmentation qu’il réclamait. Dépité, l’ex-salarié part en emportant toutes les données, sans trop savoir qu’en faire. À tout hasard, il les envoie à la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes). Laquelle, tout aussi perplexe, les transfère aux services des douanes. Cette administration toute-puissante comprend vite le caractère explosif de cette lettre décousue. Elle découvre en effet une anomalie : le volume du vin sortant est supérieur à celui du raisin entrant. Habituellement, c’est l’inverse ! La conclusion s’impose : les vins sont coupés, un procédé en ce cas rigoureusement prohibé. Ce qui n’empêche pas ses bouteilles de décrocher d’excellentes notes dans les guides internationaux ni de les vendre à grande échelle sur le marché chinois !

Inimaginable pour l’État français de ne pas réagir vite et fort pour protéger ce secteur stratégique, dont la France est le deuxième acteur mondial.

Rapidement, le Parquet ouvre une enquête. Les officiers de douane judiciaire perquisitionnent et font saisir les comptes bancaires. La direction se retrouve en garde à vue.

C’est alors que nous sommes appelés par l’épouse de l’œnologue du groupe, qui fait office de communicante, la seule personne de la direction encore libre d’intervenir, et vers qui les salariés se retournent pour tenter de comprendre la situation. Notre intervention est tardive : le groupe est déjà assailli de questions par les médias, informés par le Parquet de l’opération.

Avant tout, il fallait rechercher la vérité, ce qui n’est pas si simple. Notre cliente, une femme brillante, est persuadée que son mari, le directeur technique, n’a jamais fraudé et ne lui aurait pas menti. Sur le moment, nous ne disposons que de très peu de données, hormis celles portant sur les résultats du groupe et les labels et certifications qu’il a obtenus. Pour démontrer une volonté de transparence, nous organisons pour la presse une visite du site de production. Opération réussie, qui est mise au crédit de la société et permet d’affaiblir les accusations qui se multiplient. Nous communiquons sur l’ancienneté du groupe, ses bons chiffres et tous les éléments factuels qui peuvent lui être bénéfiques. Malgré la contrainte judiciaire, il reste possible de communiquer efficacement. Toute organisation doit prévoir ce scénario du pire en organisant d’avance la transmission des informations au sein du groupe et la désignation d’un porte-parole, qui aura été spécialement formé à la gestion de cette situation délicate.

Une marque incriminée doit prouver qu’elle a changé et, dans un cas extrême, changer de peau. Le conseiller en communication de crise doit d’abord lui faire comprendre les attentes légitimes qui s’expriment. Il doit aussi leur montrer qu’elles ont intérêt à profiter de cette séquence pour exister différemment. Une crise peut devenir une opportunité de renaissance.

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