Dans une ambiance volatile, le coup d’envoi de la Coupe du monde au Qatar, le 20 novembre 2022, cumule les signaux d’alarme. Comment justifier qu’un événement sportif de cette dimension ait lieu dans un pays tellement chaud que les stades pharaoniques construits pour l’occasion doivent être climatisés ? Dans un pays religieux où les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes ? Comment comprendre cette débauche de béton et d’énergie à l’heure de la sobriété énergétique ? Sans oublier le sort des travailleurs étrangers, dont les ONG déplorent les terribles conditions de travail et d’hébergement, avec un inquiétant nombre de morts sur les chantiers.
Comme toujours dans ces circonstances, l’opinion cherche un coupable. Mais il est difficile à cerner, car la décision a été prise quatre ans auparavant par la Fifa, la Fédération internationale de football. Des enquêtes journalistiques mettent d’ailleurs au jour des soupçons de corruption lors de l’attribution de la Coupe au Qatar. Les plus indignés prônent un boycott, soit des joueurs, soit pour regarder les matchs. Mais ils sont minoritaires face aux amateurs de foot prêts à passer l’éponge. D’autant plus que les Bleus font partie des favoris. Les critiques planent sur l’événement sans trouver de bouc émissaire.
L’Émirat du Moyen-Orient mène alors un lobbying forcené, en faisant valoir notamment que les conditions de travail y sont meilleures que dans d’autres pays du Golfe et que les femmes y sont mieux traitées. Il s’adresse à de nombreuses agences d’influence, mais sa réputation est si sulfureuse que beaucoup refusent le contrat. On apprendra plus tard que le Qatar aurait poussé ses efforts jusqu’à corrompre des parlementaires européens.
Ce scandale de corruption par le Qatar au Parlement européen, couramment appelé dans les médias « Qatargate », a éclaté en décembre 2022. Certains membres du Parlement européen auraient perçu de l’argent en échange de la défense des intérêts du Qatar. Les polices belge et italienne ont saisi 1,5 million d’euros en liquide, notamment au domicile bruxellois d’une vice-présidente du Parlement européen, la Grecque Éva Kaïlí, ce qui donna lieu à son incarcération.
La situation est tout aussi délicate pour les sponsors du Mondial. Quelques mois avant l’événement, ils mettent en place des cellules de crise. Ils craignent d’être pris à partie et veulent prévoir le pire. Que devront-ils dire, en tant que sponsors, si une spectatrice se fait arrêter pour une tenue jugée indécente ?
Premier réflexe, ils répètent haut et fort qu’ils soutiennent les sportifs et non l’événement lui-même. Mais à l’heure des réseaux sociaux et des analyses binaires, une telle posture est difficilement défendable. Nous ne sommes plus à l’époque du Tour de France, lorsque les sponsors n’étaient pas éclaboussés par les affaires de dopage. Désormais, une marque est nécessairement assimilée à l’événement qu’elle cautionne. S’il apparaît en totale contradiction avec ses valeurs, la sincérité de ses engagements est mise en doute. De même, entre son image auprès du grand public et sa communication envers ses investisseurs et ses clients, elles ne peuvent plus faire un grand écart. Son image de marque dépend de la cohérence de ses postures.
La crise de communication n’a finalement pas eu lieu mais les grands sponsors français du Mondial ont eu chaud. Si l’équipe de France n’avait pas réussi à aller jusqu’en finale, si ses performances avaient été désastreuses, leur engagement aurait sans doute concentré bien davantage de questions et d’accusations. Cette considération vaut aussi pour les politiques. Emmanuel Macron s’est rendu deux fois au Qatar, pour la demi-finale puis pour la finale. « Quand tout se passe mal, tout devient politique », a d’ailleurs lancé le Président de la République, lucide.