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Face à la crise, il n’est pire sourd…

Tout est affaire de perception. Je suis toujours frappé du décalage parfois abyssal entre la perception de nos clients, lorsqu’ils sont critiqués pour leurs produits, et celle des consommateurs. Nombreux sont les dirigeants qui s’obstinent dans l’erreur, s’estiment victimes de médisances, s’autojustifient. Réussir à faire comprendre à mes clients l’état d’esprit du public, à l’accepter, à s’appuyer sur cette réalité pour mieux y répondre, peut s’avérer une tâche ardue ! Pourtant, cet effort est souvent la clé. Faute de remettre en question leurs certitudes, à méconnaître l’image qu’ils renvoient, ils risquent de commettre des fautes majeures dont ils paieront le prix encore des années plus tard. Notre rôle est de les en préserver.

Prenons le cas de Kinder, marque apparemment indéboulonnable, foudroyée en 2022, juste après Nestlé, par une crise particulièrement mal gérée. Tout commence le 4 avril, lorsque le groupe italien Ferrero, sa maison mère, annonce dans un sobre communiqué qu’il rappelle « volontairement » des lots de produits Kinder fabriqués dans son usine d’Arlon, en Belgique. Des marques plébiscitées par les enfants sont concernées : Kinder Surprise, Schoko-Bons…

Ferrero admet un lien « potentiel » avec des cas de salmonelle signalés dans plusieurs pays d’Europe mais affirme qu’aucun produit mis sur le marché en France n’est contaminé. D’ailleurs, explique le groupe, « nous n’avons reçu aucune plainte de la part de consommateurs, néanmoins nous prenons cette affaire très au sérieux, car la protection des consommateurs est notre priorité absolue ». C’est un peu court, surtout juste avant Pâques, moment crucial pour ses ventes ! Qui plus est quand il s’agit de salmonellose, cauchemar des fabricants d’aliments pour les enfants, particulièrement vulnérables à cette intoxication.
Retrait volontaire par précaution ? En réalité, depuis plusieurs semaines, les autorités sanitaires de plusieurs pays d’Europe ont recensé plusieurs centaines de cas de salmonellose et fait le lien avec l’usine Kinder d’Arlon. En Grande-Bretagne, Ferrero a déjà annoncé le même rappel trois jours plus tôt. En France, huit enfants sont à l’hôpital…

– L’erreur en gestion de crise : croire qu’on en a fait assez –

Ferrero espère-t-il avec ce modeste retrait l’affaire enterrée et ses ventes pascales sauvées ? Pendant plusieurs jours, le groupe reste muet. Les journalistes s’étonnent de l’absence de publication sur le compte Twitter de l’entreprise, par exemple. Aucun responsable ne vient s’excuser ni même s’expliquer dans les médias. Mauvais calcul, car le scandale enfle au fur et à mesure des nouveaux cas. Ferrero doit allonger la liste des produits rappelés, des lapins de Pâques aux calendriers de l’Avent. Pour les distributeurs, ce rappel géant devient un vrai casse-tête. Par précaution, certains préfèrent retirer tous les produits Kinder des rayons, sans distinction. Le 7 avril, sortant enfin de son silence, Ferrero publie un nouveau communiqué de presse. Qui fait l’effet d’une bombe.

Car le groupe reconnaît que la présence de salmonelles avait été détectée dans son usine dès… décembre 2021 ! Et confirme que ce sont bien ces produits contaminés qui ont provoqué l’épidémie européenne. Dès lors, le groupe est au banc des accusés. Pourquoi n’a-t-il pas réagi plus tôt ? A-t-il volontairement occulté l’affaire pour préserver ses ventes de Pâques ? Les journalistes émettent un soupçon.

Ces aveux tardifs poussent la justice belge à fermer l’usine d’Arlon dès le lendemain et ouvrir une enquête pour établir les responsabilités chez Ferrero. Début mai, la société civile prend le relai : l’ONG Foodwatch porte plainte contre Ferrero pour avoir volontairement tardé à rappeler ses produits.

L’image de l’industriel responsable, qui retire volontairement ses produits par précaution, vole en éclat. Toute la presse européenne en fait ses gros titres. Accablants. « Mauvaise surprise : des Kinder cachaient des salmonelles ». L’affaire émeut d’autant plus qu’elle survient juste après le scandale des pizzas Buitoni.

Il faudra attendre le 26 mai, près de deux mois après le début de l’affaire, pour que le patron de Ferrero France prenne la parole pour la première fois, dans les colonnes du Parisien. Il explique avoir retiré des milliers de tonnes de produits et perdu des dizaines de millions d’euros. Il avoue que « 60 % des consommateurs n’ont plus confiance » dans ses marques. Critiqué pour ne pas avoir fermé son usine belge dès décembre, il tente de se justifier. « Le 15 décembre […] on arrête toutes les lignes de production, on ferme l’usine, on jette ce qui a été fabriqué ». « La totalité de nos tests réalisés les jours suivants sont négatifs, ce qui nous permet alors de rouvrir l’usine. » « À ce moment-là, on est absolument certains qu’aucun produit contaminé n’a été mis sur le marché. Que s’est-il passé après ? L’enquête le dira. » Nicolas Neykov ne convainc guère. Pas plus que les remboursements qu’il a envoyés, sous forme de bons de réduction, à 150 000 personnes. La justice attaque à son tour Ferrero pour soupçon de « tromperie aggravée » et de « mise en danger de la vie d’autrui ». Finalement, après avoir accepté des contrôles extérieurs, le groupe sera autorisé à rouvrir son usine mi-juin.

– Faire l’autruche : une mauvaise stratégie de gestion de crise –

Comment analyser le choix sidérant du géant des confiseries ? Face à la tempête de critiques qui s’abat sur Kinder, pendant trois jours, le groupe a plongé en eau profonde, invisible, en mode « silence radio ». Pas un mot de la direction n’est prononcé ni publié, y compris sur les réseaux sociaux, qui bruissent de commentaires indignés. Les journalistes trouvent porte close. Il faudra le verdict des consommateurs, avec une dégringolade des ventes de 40 %, pour que les dirigeants de Ferrero sortent la tête du sable, eux qui ont semblé tétanisés par la crise.

C’est à cela que sert l’anticipation de la gestion de crise, à ne pas se retrouver sidéré par l’ampleur de la gravité d’une crise, à ne pas perdre du temps à hésiter sur les actions à déployer, sur quoi dire, comment le dire et où…

La marque se réveille alors et décide de parler au Parisien, le dernier grand quotidien populaire français, afin de jouer la proximité avec le consommateur. Le dirigeant présente des excuses avec empathie, reconnaît les dégâts, admet même que l’affaire est catastrophique pour son image. Sa démarche est intelligente, le propos incarné.

L’initiative lui semble suffisamment efficace pour stopper la crise. Mais durant les mois suivants, ses ventes ne redécollent pas. Les consommateurs restent méfiants.
Lorsque Noël approche, ses calendriers de l’Avent lui restent sur les bras. Dès le 5 décembre, Kinder les brade à moitié prix ! Il choisit même de lancer une campagne de publicité, comme produit phare de son calendrier, sur non pas des chocolats, mais un livre de contes ! Une habile stratégie de contournement… En parallèle, en novembre, ce groupe si secret lance une opération transparence, en ouvrant les portes de son entrepôt de Grand-Quevilly (Normandie) aux caméras de BFMTV. Des salariés du cru, de bons pères de famille, prennent la parole, expliquent leur quotidien, vantent le recours à l’emploi local et les ingrédients normands, allant du sucre au lait. Pas un mot sur la salmonelle dans tout le reportage. Objectif atteint.

Sauf qu’un mauvais souvenir peut persister. J’ai souvent constaté que faute d’une réaction très rapide et très forte, le consommateur est difficile à reconquérir. Même pour des produits réputés « non substituables », auxquels il semblait à jamais fidèle. Jusque-là, Kinder inspirait confiance quelles que soient les crises. Ce n’est plus vrai. Aucune marque n’est à l’abri, tant les crises alimentaires sont anxiogènes.

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