La perception des crises est subjective. J’ai vu des organisations habituées à régler leur quotidien comme du papier à musique, qui considèrent tout événement imprévu comme une crise. Certaines, notamment aux États-Unis, réagissent au quart de tour, quelle que soit la portée des menaces réputationnelles, alors que des entreprises européennes peuvent agir en amateurs impréparés. Sans oublier ces managers trop confiants, convaincus de savoir résoudre n’importe quel aléa tout seuls. Ces attitudes sont tout aussi dangereuses pour le conseiller en communication de crise que je suis.
Chaque cas nécessite une réponse différente. Il faut agir, bien entendu, mais aussi le faire savoir. Une gestion de crise, c’est aussi l’image qu’elle forge.
Dès l’instant où éclate la crise, tous les actes du dirigeant devront être soigneusement pesés, car ils seront scrutés à la loupe. À la clé, sa réputation et celle de sa marque, et donc la valorisation de son entreprise. Il ou elle devra surmonter son stress pour s’organiser et s’expliquer publiquement. Ses actions devront être connues, comprises, retenues. Gestion de crise et communication de crise sont les deux facettes inséparables de la réponse à apporter, face à un public dont la défiance n’a cessé de croître à l’égard de toute parole officielle. Impossible de s’enfouir la tête dans le sable en attendant que l’orage passe, tentation à laquelle cèdent, pour leur malheur, tant d’organisations. Celui qui se tait sera sanctionné et laissera la parole à ses détracteurs, parfois renforcés par une armée de trolls en ligne. Il lui faudra convaincre et remporter cette bataille d’image.
Premier piège, le déni. Combien de dirigeants minimisent une crise naissante, convaincus qu’ils n’ont rien à se reprocher ! Une défaillance ? Ils ont tout fait pour l’éviter. Pourquoi ni le public ni les médias ne peuvent-ils le comprendre ? D’Emmanuel Besnier, patron de Lactalis mis en cause pour des salmonelloses, jusqu’à Emmanuel Macron, embourbé dans l’affaire Benalla, le réflexe premier est souvent le même : balayer d’un revers de main des accusations jugées illégitimes. Cette incompréhension obstinée des mécanismes de l’opinion publique conduit les responsables à se recroqueviller, sourds à tout conseil d’ouverture. La politique de l’autruche donne souvent, à tort, une impression de sécurité confortable. Et c’est toujours une erreur.
Deuxième piège, une défiance généralisée. J’ai vu des hommes et des femmes politiques, tout comme des chefs d’entreprises, ériger autour d’eux un véritable bouclier psychologique contre tous ceux qu’ils voient comme une menace : médias, opinion publique, associations, réseaux sociaux, police, justice… Cette muraille de Chine les isole et noircit encore leur vision d’un monde extérieur hostile et injuste.
Troisième piège, le silence. Leur défiance renforce généralement leur conviction que se taire est plus efficace que répondre. Les voici qui partent en guerre tous azimuts sans discernement, même contre des journalistes qui ne leur sont pas initialement hostiles. Ce mutisme contre-productif ne peut qu’aggraver leur situation. Ils doivent au contraire prendre la parole les premiers. Sinon, il sera trop tard. Le train de l’information ne passe pas deux fois.
Dernier piège, les mensonges. C’est le pire de tous. Comme les avocats, avec qui nous travaillons au quotidien, nous ne sommes jamais à l’abri d’un client qui ment, souvent davantage pour se protéger que pour nuire ou manipuler. Nous sommes alors confrontés non seulement au risque de voir sa réputation discréditée mais de voir des journalistes « feuilletonner » pendant des semaines, en dévoilant peu à peu les informations en leur possession. Comme nous le verrons, plus une crise dure, plus elle est néfaste.
La crise ne s’éteindra pas d’elle-même.
C’est là qu’intervient l’expert en communication de crise, dont le rôle est de les aider à reprendre la main. Les journalistes imaginent souvent que notre rôle consiste à faire obstacle à la manifestation de la vérité. Avec cette image d’Épinal du conseiller de communication américain qui répond un froid “No comment”. C’est tout le contraire : notre rôle consiste d’abord à convaincre nos clients de répondre aux questions des médias, de renouer le dialogue, en recréant les conditions de la confiance.
Notre mission : déployer un ensemble d’actions de communication pour lutter contre les effets des événements déclencheurs et rétablir une réputation. Nous pouvons aussi mettre en place des outils pour détecter et anticiper les crises. Nous aidons enfin à gérer l’après-crise. Les accidents qui bouleversent la vie d’une organisation ou d’une personnalité laissent généralement des cicatrices. Les séismes ont parfois des répliques : en cas de nouvelle crise, la précédente refera surface dans chaque article et marquera encore davantage l’esprit du public, qui n’oublie pas aussi vite qu’on pourrait le croire.
À l’ère où une information se répand dans le monde entier en trois clics, les réseaux sociaux peuvent faire déraper une situation que l’on pensait bien gérée. Sans intervention rapide et pertinente, elle devient très vite hors de contrôle. Le délai de réaction s’avère crucial : quelques heures perdues peuvent suffire à endommager gravement une réputation.
La crise la mieux gérée est celle dont vous n’aurez jamais entendu parler. Ce qui n’est pas toujours le cas des exemples que je citerai sur ce blog. Mais chacun nous enseigne comment mieux gérer la prochaine crise.