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Fatale défiance

La confiance limitée du grand public

Chacun peut le constater, le grand public n’a qu’une confiance très limitée dans les entreprises. À chaque crise, cette défiance s’expose sur les réseaux sociaux. Mais les citoyens n’ont sans doute pas conscience que l’inverse est tout aussi flagrant ! Les organisations, privées ou publiques, se méfient de plus en plus de tous les acteurs extérieurs.

Les fantasmes de complot sont partagés. Les attentes du public ? Aux yeux des dirigeants, elles paraissent souvent illégitimes, infondées, quand ils ne les imaginent pas orchestrées par des activistes, dont les nouvelles revendications effraient, ou par des concurrents envieux de leur réussite. Malgré leurs excès, ces inquiétudes réciproques doivent s’entendre : n’existe-t-il pas un pacte moral, un contrat de confiance entre une entreprise et ses clients sur la qualité des produits et des services promis ?

Et lorsqu’elles sont attaquées, les entreprises et leurs dirigeants estiment souvent que le public doit leur faire confiance sans poser de questions. Ne sont-ils pas les experts ? Ne connaissent-ils pas mieux que leurs clients leur processus industriel et ses risques ? Les médias sont souvent considérés en bloc comme des ennemis. Pourquoi répondre à des questions qui menacent leurs secrets industriels ? Les interpellations de la presse leur paraissent intrusives et déplacées. J’ai aussi vu des dirigeants d’entreprises s’en prendre aux pouvoirs publics. De quel droit, se demandent-ils, la police ou la justice se saisit-elle de leur dossier ?

Ce flot d’autojustification les pousse à refuser d’affronter la crise. D’où ces « retards à l’allumage » qui peuvent parfois paraître incompréhensibles, alors que la situation imposerait une prise de parole rapide. La peur et la colère sont mauvaises conseillères. Le silence est tellement plus rassurant. Comme si ce refuge était capable de faire disparaître des impairs.

– Tempête dans un verre d’eau –

À propos de déni, impossible de ne pas évoquer l’un des exemples les plus spectaculaires d’une gestion de crise paralysée par l’affolement : l’affaire Benalla, qui a terni les débuts du premier quinquennat d’Emmanuel Macron.

Petit rappel des faits : le 1er mai 2018, affublé d’un brassard de police qu’il n’avait aucun droit de porter, Alexandre Benalla, le chef de cabinet adjoint du président et membre de son premier cercle, fait le coup de poing contre des manifestants à terre. La vidéo de cet agresseur casqué, mais reconnaissable à travers sa visière, dénoncé par des activistes, tourne largement sur les réseaux. Pendant deux mois, l’affaire se tasse. Mais le 18 juillet, le journal Le Monde révèle son identité et met en cause ce « proche du président ». Aussitôt, l’article fait scandale.

Le lendemain matin, Emmanuel Macron, visiblement embarrassé, ne peut éviter la presse lors d’un déplacement prévu de longue date dans le Sud-Ouest. Assailli de questions, il feint de ne pas entendre les journalistes, détourne la tête et finit par lancer avec agacement une boutade sur ce qui n’est selon lui qu’une « tempête dans un verre d’eau ». À cette séquence gênée succèdent trois jours de silence radio. Trois jours ! Le président reste invisible tandis que les médias apprennent que l’Élysée était au courant depuis mai mais que l’affaire a été passée sous silence et l’homme à peine sanctionné.

Enfin, Emmanuel Macron sort de son silence. Maladroitement, avec colère. Devant les députés de son parti qui ont la permission de filmer la scène, il monte sur l’estrade, entouré de ses partisans, et s’écrie, vibrant de colère : « S’ils veulent un coupable, qu’ils viennent me chercher ». Beaucoup y voient sinon un aveu de culpabilité, du moins la preuve d’une singulière protection… L’affaire repart de plus belle, tout comme les rumeurs les plus pernicieuses sur ses liens supposés avec Alexandre Benalla. Finalement, l’Élysée licencie l’ancien garde du corps. Bien trop tard pour calmer le jeu.

En tardant à réagir, en refusant d’affronter le problème, Emmanuel Macron a affaibli le début de son quinquennat. Si dès la parution de l’article du Monde il avait reconnu la culpabilité d’Alexandre Benalla et l’avait écarté de l’Élysée, l’affaire aurait sans doute disparu aussi vite qu’elle avait surgi. Sauf qu’il avait décidé que le coupable, c’était la presse. D’où sa diatribe, dans sa tirade, contre la presse qui « ne cherche pas la vérité ». Alors que Le Monde avait justement révélé au grand jour un dossier étouffé. Résultat ? Une réputation salie et une action présidentielle bloquée tout un été, alors que le président de la Ve République court sans cesse après le temps, qui lui file entre les doigts.

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