La communication de crise doit prendre en compte une rĂ©alitĂ© sociale : le tolĂ©rable dâhier nâest plus celui dâaujourdâhui.
Pas un jour ne passe sans que nous entendions chez certains clients « aaaah ! Mais, AUJOURDâHUI, on ne peut plus rien dire ⊠AVANT on pouvait dire cela sans problĂšme, cela ne choquait personne, cela faisait mĂȘme rire, cela ne gĂ©nĂ©rait pas une criseâŠÂ ».
A lâAgence, je lis souvent alors, Ă l’Ă©noncĂ© de cette phrase, dans les yeux Ă©bahis de mes collaborateurs, « OK BOOMER ».
L’un des brillants (mais cash) consultants en communication de crise de mon agence me disait d’ailleurs il y a quelques jours, « c’est 100% une phrase de vieux cons » . Je partage assez son avis, Ă vrai dire.
Je constate que beaucoup dâorganisations sont encore immatures dans leur comprĂ©hension de lâopinion publique.
Le communicant de crise que je suis, fait un constat clair : le tolĂ©rable dâhier nâest plus celui dâaujourdâhui. Il ne sâagit pas de limites Ă la libertĂ© dâexpression, chacun a Ă©videmment le droit d’avoir son opinion, ses idĂ©es et de les exprimer comme il l’entend. La question n’est pas lĂ .
La rĂ©alitĂ© est que de nombreuses minoritĂ©s sociales, ignorĂ©es, moquĂ©es ou mĂ©prisĂ©es ces derniĂšres annĂ©es, se sont transformĂ©es en militants activistes pour dĂ©fendre leurs convictions. Ils ont compris quâil y avait lĂ un moyen efficace de faire changer les choses durablement.
Ainsi, lâexploitation animale, les violences faites aux femmes ou aux enfants, les nuisances et les malveillances contre lâenvironnement, ⊠tolĂ©rĂ©es ou invisibles hier, sont aujourdâhui (heureusement) fermement dĂ©noncĂ©es et combattues par des collectifs citoyens.
Les dirigeants doivent comprendre que la stigmatisation sociale et lâindignation collective sont devenues des leviers dâactions pour ces activistes, notamment sur les internets, par lesquels ils ont rĂ©ussi Ă la fois Ă capter lâattention du public, Ă le sensibiliser Ă leur cause et Ă le faire rĂ©agir en sâengageant sur les contenus publiĂ©s.
Flight Shaming et Sleeping Giants, deux exemples concrets de mobilisation sociale entrainant des crises à répétition.
Câest ainsi quâest, par exemple, nĂ© le Flight Shaming. Les enjeux environnementaux du moment conduisaient dĂ©jĂ de plus en plus de personnes Ă renoncer Ă prendre lâavion. Mais, il sâagit ici dâautre chose : la honte de voler. La stigmatisation sociale produite par ces activistes sur internet vise Ă crĂ©er un sentiment de honte chez les personnes sensibles au devenir de la planĂšte face Ă l’idĂ©e de prendre l’avion et de participer aux effets nĂ©fastes du transport aĂ©rien sur l’environnement. Ces militants pointent dĂ©sormais systĂ©matiquement du doigt le bilan carbone des vacances sur vos photos qui font rĂȘver sur instagram. Cette honte est si forte et elle sâest si vite rĂ©pandue que lâindustrie aĂ©rienne anticipe aujourd’hui une baisse importante du trafic Ă moyen terme. Câest dire Ă quel point les vagues dâopinion doivent ĂȘtre suivies de prĂšs par les organisations.
Câest aussi le cas des Sleeping Giants, ce collectif de militants agissant sur les rĂ©seaux sociaux dont l’objectif est la lutte contre le financement des discours de haine sur internet et dans les mĂ©dias qui appellent les annonceurs Ă retirer leurs publicitĂ©s de certains supports digitaux afin de ne pas s’associer Ă leurs contenus.
Nous travaillons au quotidien avec des organisations afin de rĂ©soudre des crises et leurs impacts produits sur lâimage des marques ou des personnalitĂ©s. Nous constatons que lâopinion publique considĂšre majoritairement avoir une sorte de contrat psychologique avec elles.
Lâopinion publique pense que ces organisations ou ces peoples ont des obligations envers elle. Cette impression est dâailleurs gĂ©nĂ©ralement basĂ©e sur un sentiment et non pas sur la communication ou une promesse des marques.
Uber et Facebook, deux exemples de communication de crise mal gérées basées sur la rupture du pacte de confiance avec les utilisateurs.
Câest ce quâa dĂ©couvert Facebook, lorsquâen 2018 lâentreprise sâest retrouvĂ©e en plein scandale aprĂšs le partage de donnĂ©es Ă caractĂšre personnel avec la sociĂ©tĂ© Cambridge Analytica. Chacun sait quâen utilisant Facebook, on donne sa permission pour que lâentreprise utilise nos donnĂ©es pour cibler la publicitĂ© qui nous est destinĂ©e. Quand on sait, plus ou moins, comment ses donnĂ©es sont utilisĂ©es et quâon voit les publicitĂ©s pour les marques quâon a indiquĂ© aimer, cela semble acceptable.
Nous faisons confiance Ă Facebook pour que lâentreprise protĂšge certaines des choses qui nous sont les plus chĂšres : nos conversations, les informations sur nos relations, nos souvenirs, les photos de nos enfants.
Cette grave violation de la confiance des utilisateurs de Facebook a brisĂ© cette confiance, lâentreprise a rompu son contrat psychologique avec ses utilisateurs.
Câest aussi ce quâa dĂ©couvert Uber. EmbourbĂ©e dans une communication de crise que certains experts en communication de crise dĂ©signent comme minimaliste mais que je considĂšre comme totalement inadaptĂ©e, Uber a Ă©tĂ© confrontĂ© Ă une grave crise quâils ont sous-estimĂ©e. Ainsi depuis plusieurs semaines, derriĂšre le hashtag #UberCestOver, des rĂ©cits insupportables de clientes dâUber sâĂ©talent sur les rĂ©seaux sociaux. Ces femmes victimes des chauffeurs dâUber y racontent les agressions ou le harcĂšlement quâelles ont subis pendant leur course.
Cette crise est terrible pour Uber qui semble ainsi avoir perdu dĂ©finitivement la faveur de nombreuses clientes. Cette crise est d’autant plus dommageable qu’elle remet en cause l’ADN mĂȘme de son activitĂ© : transporter de maniĂšre sĂ©curisĂ©e une personne.
Facebook a la responsabilitĂ© de protĂ©ger nos donnĂ©es et sâils nâen sont pas capables, alors ils ne mĂ©ritent pas la confiance de leurs utilisateurs. Il en est de mĂȘme pour Uber. Uber a la responsabilitĂ© de protĂ©ger ses utilisatrices et sâils nâen sont pas capables, alors ils ne mĂ©ritent pas la confiance de ces femmes pour les transporter dâun point Ă un autre.
Oui, nous vivons une Ă©poque oĂč une partie de lâopinion est intransigeante sur certains sujets qui ont une charge Ă©motionnelle Ă©norme. Câest le cas de la protection de lâenvironnement, des droits des enfants, de la protection des animaux et des violences faites aux femmes ou encore du gaspillage. Ces prĂ©occupations sont au cĆur des convictions de militants qui se sont transformĂ©s en activistes digitaux et sociaux en ayant conscience de leur capacitĂ© Ă faire plier une organisation et Ă la contraindre Ă changer de comportement ou Ă rĂ©agir Ă une situation jugĂ©e « inacceptable ».
Toutes les organisations doivent comprendre que si elles trahissent cela, elles en subiront des consĂ©quences lourdes et multiformes sur leur image, leur rĂ©putation, leur notoriĂ©tĂ© et leur valorisation. Câest dĂ©sormais le prix Ă payer pour ne pas avoir compris le monde qui les entoure.