Depuis dix ans, mes clients me demandent rĂ©guliĂšrement comment faire les choses parfaitement face Ă une crise. J’ai pris pour habitude de citer le cas James Burke dans lâaffaire du Tylenol. Il est pour moi un modĂšle de gestion de crise, une rĂ©fĂ©rence.
En 1982, une crise trĂšs grave a frappĂ© Johnson & Johnson (J&J), lâune des entreprises pharmaceutiques amĂ©ricaines les plus florissantes et les plus puissantes du Monde. Tylenol Ă©tait lâanalgĂ©sique le plus vendu aux Ătats-Unis, avec une part de marchĂ© de 30 %. La marque reprĂ©sentait une grande part des bĂ©nĂ©fices de J&J.
James Burke dĂ©veloppe la vente au grand public du Tylenol, un anti douleur jusque-lĂ rĂ©servĂ© aux hĂŽpitaux. Ce grand patron va faire face Ă la gestion de crise la plus grave de sa vie. Le 29 septembre 1982, une fillette de 12 ans, Mary Kellerman, meurt aprĂšs avoir avalĂ© un cachet de Tylenol. Six autres dĂ©cĂšs surviennent dans la rĂ©gion de Chicago, tous Ă la suite dâune prise de Tylenol. Lâalerte est donnĂ©e dans une atmosphĂšre de panique gĂ©nĂ©rale. On dĂ©couvre quâen fait, les dĂ©cĂšs sont dus Ă lâabsorption de cyanure. La piste du sabotage en usine Ă©tant Ă©cartĂ©e, du fait de la proximitĂ© gĂ©ographique des dĂ©cĂšs, reste celle dâun fou ayant retirĂ©, trafiquĂ© puis replacĂ© en rayon des flacons de Tylenol.
Un fou (SPOILER ALERT ! : il nâa d’ailleurs jamais Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©) a injectĂ© du cyanure dans du Tylenol dans des pharmacies de Chicago. Sept personnes sont mortes avant que les autoritĂ©s aient compris ce quâil sâĂ©tait passĂ©.
Ses (mauvais) communicants ont conseillĂ© Ă James Burke dâattendre et de voir comment les choses tournaient. Il a alors dĂ©clarĂ© :
« Non. On ne va pas faire ça. Nous sommes Johnson & Johnson. Nous allons rappeler chaque comprimé de Tylenol actuellement en circulation sur le continent nord-américain. »
On lui a rĂ©pondu que câĂ©tait impossible, car aucun rappel de produits ne permet de rĂ©cupĂ©rer plus de 60 % des produits dĂ©fectueux. Mais James Burke nâa pas cĂ©dĂ©. Il est allĂ© Ă la tĂ©lĂ©, il sâest dĂ©placĂ© en personnes, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sur tout le territoire amĂ©ricain. Son message Ă©tait simple : si vous avez du Tylenol chez vous, nâen consommez pas.
Ramenez-le dans votre pharmacie, oĂč il vous sera remboursĂ©. NE CONSOMMEZ PAS DE TYLENOL.
Son message a fonctionnĂ©. Il nây a pas eu dâautre victime. C’est une belle leçon de communication de crise, un exemple parfait d’attitude efficace de gestion de crise.
Les observateurs pensaient que cette crise dĂ©truirait Johnson & Johnson. Ils avaient tort. La valeur de lâaction a chancelĂ©, puis sâest maintenue pendant une annĂ©e, pendant que le Tylenol Ă©tait retirĂ© du marchĂ©.
Les investisseurs avaient estimĂ© que James Burke avait la situation bien en main. Ils lui ont fait confiance parce quâil avait Ă©tĂ© honnĂȘte. Ils ont admirĂ© son courage.
Le gouvernement aussi. James Burke a reçu la mĂ©daille prĂ©sidentielle de la libertĂ© en 2000, pour avoir placĂ© les intĂ©rĂȘts de la population amĂ©ricaine au-dessus des intĂ©rĂȘts de son entreprise.