Elise Lucet est Ă votre porte, les camĂ©ras tournent, elle veut une interview tout de suite, maintenant ? Un quotidien Ă gros tirage vous pose des questions au sujet de la vie privĂ©e dĂ©bridĂ©e de votre directeur gĂ©nĂ©ral ? Le Canard EnchainĂ© souhaite vous interroger dans l’heure sur les fraudes de votre Directeur administratif et financier ? Quelquâun dĂ©clare sur Twitter que vos publicitĂ©s sont sexistes, racistes, homophobes ou discriminatoires ? Le directeur dâune filiale rĂ©gionale vous appelle pour vous informer quâune cliente, une influence prestigieuse et mĂ©diatique, a glissĂ© sur une surface mouillĂ©e et sâest cassĂ©e lâos de la hanche ? La presse Ă scandale publie une vidĂ©o volĂ©e de vous en charmante compagnie ? Vous ĂȘtes Ministre de l’intĂ©rieur et vous ĂȘtes aperçu en train de danser et d’embrasser une inconnue, le tout sur fond de shots de Vodka ? Le gendarme de la bourse informe les mĂ©dias quâune enquĂȘte a Ă©tĂ© lancĂ©e sur un de vos produits financiers star ? Un dĂ©putĂ© ou un sĂ©nateur vous attaque publiquement sur le montant des impĂŽts que vous versez vous accusant d’Ă©vasion fiscale alors que vous ne faites que de l’optimisation ? LâautoritĂ© de sĂ©curitĂ© des aliments dĂ©nonce lâutilisation de lâun des principaux ingrĂ©dients de votre produit phare en remettant en cause sa commercialisation ?
Ces dix derniĂšres annĂ©es, mes clients m’ont souvent demandĂ© comment dĂ©termine-t-on quâun Ă©vĂšnement est une crise ? C’est vrai ça, au fond, comme dirait ma jeune et brillante petite soeur, une crise c’est quoi prĂ©cisĂ©ment ? Est-ce un gros problĂšme – qui doit ĂȘtre suivi avec soin – ou bien est-ce un problĂšme banal, câest-Ă -dire le genre de choses que les managers gĂšrent au quotidien ?
Ma rĂ©ponse est constante : câest Ă vous de juger. Et cette dĂ©cision ne revient quâĂ vous, car souvent, face Ă un Ă©vĂšnement majeur, personne dans l’organisation nâaura lâenvie de dĂ©clarer :
« Nous sommes face à une crise : enclenchez la procédure de gestion de crise ».
En gĂ©nĂ©ral, par expĂ©rience, les managers minimisent les crises jusquâĂ ce quâil soit trop tard. Il ne reste plus alors quâĂ limiter les dĂ©gĂąts autant que possible. Câest comprĂ©hensible : on paie les managers pour ĂȘtre optimistes et on part du principe quâils savent prĂ©voir et gĂ©rer, mais les crises ne font pas partie de leur quotidien.
Les rĂ©actions aux crises sont subjectives. J’ai vu des organisations qui sont habituĂ©es Ă ce que tout soit rĂ©glĂ© comme du papier Ă musique mais qui considĂšrent tout Ă©vĂšnement imprĂ©vu et dommageable comme une crise. Ă lâinverse, j’ai connu des managers trop confiants qui ont eu tendance Ă penser quâils peuvent rĂ©soudre nâimporte quelle situation seuls. Ces deux attitudes sont tout aussi dangereuses pour le communicant de crise que je suis.
En temps de crise, il nây a pas le temps de faire des erreurs.
La notion dâobligation de rendre des comptes ne sâest imposĂ©e que vers le milieu des annĂ©es 90. John Elkington a lancĂ© lâidĂ©e avec « Personnes, Profits, PlanĂšte » (The Economist, 2009). Avant cette Ă©poque, la plupart des entreprises considĂ©raient quâelles devaient communiquer avec leurs investisseurs. POINT.
Tout le reste relevait, selon eux, soit du marketing, soit du « service oĂč on se la coule douce », comme lâentreprise GE appelait les RH (Financial Post, 2015).
Quiconque lit ce post pense forcĂ©ment aux parties prenantes de l’entreprise Ă associer face Ă une crise.  Pourtant, j’ai Ă©tĂ© stupĂ©fait de constater que la plupart de nos clients chez LaFrenchCom ne dialoguaient pas ou trĂšs peu avec leurs diffĂ©rents publics. Câest pourtant bien lâopinion – ou la perception – que les parties prenantes ont dâune entreprise qui constitue le « permis dâopĂ©rer » de cette organisation.
Si les diffĂ©rentes parties prenantes vous connaissent et vous apprĂ©cient, vous serez bien plus en mesure de sortir dâune crise sans trop de dommages. Si cela nâest pas le cas, vous risquez dâavoir beaucoup plus de difficultĂ©s.
Les grands chefs dâentreprise comme Xavier Niel le savent bien. Pour les autres dirigeants, il faut parfois faire preuve de beaucoup de persuasion. J’ai vu au quotidien que vous devez leur dĂ©montrer que dire et faire ce quâil faut lors dâune crise nâest pas une question de choix, câest la seule maniĂšre de protĂ©ger leur rĂ©putation quand leur « permis dâopĂ©rer » est menacĂ©.
Il y a cinquante ans, la valorisation dâune entreprise (au sens boursier) Ă©tait principalement basĂ©e sur ce quâelle dĂ©tenait de maniĂšre tangible : usines, stocks, brevets, bĂątiments, vĂ©hicules, etc., donc les objets quâon pouvait toucher et compter. C’Ă©tait la valorisation financiĂšre de l’organisation.
Aujourd’hui, la valorisation boursiĂšre de la plupart des grandes entreprises est essentiellement basĂ©e sur des Ă©lĂ©ments intangibles – leurs marques, leur popularitĂ©, la crĂ©dibilitĂ© de leur parole et de leur stratĂ©gie, lâimage de leur PDG et leur rĂ©putation. On a vu, il y a quelques jours, Ă quel point l’allemand Bayer avait par exemple mis en danger sa rĂ©putation, sa valorisation, sa crĂ©dibilitĂ© et l’image de ses dirigeants avec le rachat de Monsanto. C’est la valorisation extrafinanciĂšre de l’organisation… et elle prend largement le pas sur la valorisation financiĂšre. Pour une raison simple… les investisseurs savent qu’elle fait la pĂ©rennitĂ© d’une organisation !
Warren Buffett, l’un des plus grands investisseurs au monde, a Ă©tĂ© le premier Ă dĂ©clarer quâil faut 20 ans pour asseoir une rĂ©putation, mais quâil suffit dâune seule seconde pour lâanĂ©antir. Il a aussi dit aux managers de la banque Salomon quâil pouvait excuser les erreurs financiĂšres, mais serait impitoyable si les actions de lâun dâentre eux venaient ternir la rĂ©putation de la banque. Buffett est un investisseur trĂšs expĂ©rimentĂ©. Ce quâil voulait dire ici, câest que la rĂ©putation a une valeur financiĂšre bien supĂ©rieure Ă tout ce qui peut figurer dans un compte de rĂ©sultat (Forbes, 2014). Je partage largement cet avis.
Câest prĂ©cisĂ©ment pour cela que j’ai toujours considĂ©rĂ© que la communication de crise devrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une prioritĂ© par toute personne Ă la tĂȘte dâune organisation, que ce soit une sociĂ©tĂ© cotĂ©e en bourse, une entreprise publique, ou une ONG. La communication de crise permet de protĂ©ger la rĂ©putation, qui est un actif financier en soi.
Martin Sorrell, homme d’affaires britannique, PDG du groupe de publicitĂ© WPP de 1986 Ă 2018, ne disait pas autre chose quand il dĂ©clarait, Ă propos de la RSE :
« Certaines entreprises pensent que la RSE, câest juste pour faire joli. Ce nâest absolument pas le cas : faire ce qui est bien est bon pour le business » (INSEAD, 2010).
La plupart du temps, nous prenons nos dĂ©cisions en un clin dâĆil. Câest inĂ©vitable, quand on sait quâun adulte vivant en Europe de lâOuest est chaque jour bombardĂ© de 4 000 messages politiques et commerciaux. Nous prenons rarement le temps de rĂ©flĂ©chir sĂ©rieusement Ă un sujet qui ne nous concerne pas directement.
En tant que partie prenante dâune crise, nous dĂ©cidons rapidement si nous considĂ©rons quâune entreprise a droit Ă notre soutien ou si au contraire elle mĂ©rite tous les problĂšmes auxquels elle est confrontĂ©e.
A titre d’exemple, la plupart des gens apprĂ©ciaient John Browne, qui Ă©tait Ă la tĂȘte de BP (British Petroleum). Ils ne soutenaient pas forcĂ©ment le secteur pĂ©trolier, mais aimaient ce que John Browne disait et la maniĂšre dont il le disait. Ils avaient peut-ĂȘtre mĂȘme aimĂ© son idĂ©e de « Beyond Petroleum » (« Au-delĂ du pĂ©trole »). Mais la plupart des gens nâaimaient pas Tony Hayward et la maniĂšre dont il a gĂ©rĂ© la crise du Deepwater Horizon. Son comportement a Ă©tĂ© lourd de consĂ©quences pour le « permis dâopĂ©rer » de BP.
La plupart des gens (et des mĂ©dias) ne sont pas convaincus par Richard Branson. Le « permis dâopĂ©rer » de Virgin est mitigĂ©. Mais sa rĂ©action, lorsque le prototype de Virgin Galactic sâest Ă©crasĂ© dans le dĂ©sert du Mojave en tuant le pilote qui Ă©tait Ă bord, a Ă©tĂ© irrĂ©prochable. Il sâest rendu sur les lieux aussi vite quâil a pu. Il a communiquĂ© sur Twitter pour dire aux gens ce quâil faisait. Une fois sur place, il a affrontĂ© les mĂ©dias et a su dire ce quâil fallait. Beaucoup de gens ont alors changĂ© dâopinion sur Richard Branson et Virgin.
Avec ce blog, je tente de vous offrir des informations et des conseils. J’espĂšre quâils seront utiles aux lecteurs. Il est cependant Ă©vident que de nombreuses entreprises nâont pas les moyens de mettre en place un plan complet de communication de crise, puis de le maintenir Ă jour.
Mon conseil est donc le suivant : face Ă une crise, le comportement du PDG est crucial.
On jugera votre entreprise ou votre marque en fonction de la rĂ©action de votre PDG telle quâelle sera relayĂ©e par les mĂ©dias.
Si vos plans de communication de crise sont approximatifs, mais que votre PDG se comporte bien, vous parviendrez, avec un peu de chance, Ă survivre Ă cette crise, sans avoir perdu votre « permis dâopĂ©rer », c’est-Ă -dire ce qui rend acceptable par l’opinion que vous exerciez votre activitĂ©.
Si vos plans sont presque parfaits, mais que votre PDG cache des choses, prend de mauvaises dĂ©cisions ou dit ce quâil ne faut pas, ou mĂȘme sâil ne dit ou fait rien, vous en pĂątirez probablement.
Si vous nâavez pas le temps ou lâargent nĂ©cessaire pour faire quoi que ce soit dâautre, formez votre PDG Ă gĂ©rer une situation de crise et Ă communiquer auprĂšs des mĂ©dias et des parties prenantes de maniĂšre appropriĂ©e.
QUâEST-CE QUâUNE CRISE ? La rĂ©ponse Ă cette question se trouve dans la rĂ©ponse aux questions suivantes :
- La vie, la santĂ© ou le bien-ĂȘtre des gens sont-ils en danger ?
- Lâentreprise doit-elle agir pour protĂ©ger la vie, la santĂ© ou le bien-ĂȘtre de quiconque, que la responsabilitĂ© en soit la vĂŽtre ou non ?
- Les mĂ©dias pourraient-ils prĂ©senter lâorganisation (justement ou non) de maniĂšre nĂ©gative ?
- Comment lâentreprise la plus respectĂ©e de votre secteur rĂ©agirait-elle ?
- Si vous étiez partie prenante (employé, client, distributeur), quelle réaction attendriez-vous ?
- En tant que communicant, quelle rĂ©action vous donnerait lâimpression que vous ĂȘtes Ă la hauteur sur le plan moral et professionnel ?
Une crise est d’abord une mise Ă lâĂ©preuve dâune organisation. La tentation est toujours forte de faire mine dâignorer ce quâil se passe, de repousser Ă plus tard en espĂ©rant que le problĂšme disparaitra de lui-mĂȘme. Mais ce nâest pas comme cela que les choses se passent.
LâexpĂ©rience m’a montrĂ© quâil vaut mieux traiter un Ă©vĂšnement malheureux comme une crise, mĂȘme si cela sâavĂšre ensuite ne pas ĂȘtre le cas, plutĂŽt que ne rien faire en espĂ©rant que le problĂšme disparaisse de lui-mĂȘme.
Un bon exemple : Lâamiral Cunningham
Les Britanniques ont envahi la GrĂšce en 1941. CâĂ©tait une mauvaise dĂ©cision : la Wehrmacht les a repoussĂ©s, et ils ont alors pris position en CrĂšte, espĂ©rant transformer lâĂźle en forteresse imprenable. Cela sâest aussi avĂ©rĂ© une mauvaise dĂ©cision : les Allemands se sont rendus maitres de lâĂźle avec des parachutistes et des planeurs. LâarmĂ©e britannique a dĂ» ĂȘtre Ă©vacuĂ©e et la tĂąche en est revenue, une fois de plus, Ă la Royal Navy.  LâĂ©vacuation a Ă©tĂ© un succĂšs, mais pas pour la Royal Navy. Un porte-avions, trois croiseurs et cinq destroyers ont Ă©tĂ© coulĂ©s par la Luftwaffe, avec 2 600 hommes Ă bord. Au plus fort de la bataille, lâun des officiers servant sous lâamiral Cunningham lui a demandĂ© si cela valait la peine.
Sans hésitation, celui-ci a répondu : « Il faut trois ans à la Royal Navy pour construire un bateau, mais il a fallu 300 ans pour asseoir notre réputation. Nous ne laisserons pas tomber ces hommes. »
(HistoryNet, 2007)
Tout est dit…