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Une crise en communication, c’est quoi ? đŸ€”

Elise Lucet est Ă  votre porte, les camĂ©ras tournent, elle veut une interview tout de suite, maintenant ? Un quotidien Ă  gros tirage vous pose des questions au sujet de la vie privĂ©e dĂ©bridĂ©e de votre directeur gĂ©nĂ©ral ? Le Canard EnchainĂ© souhaite vous interroger dans l’heure sur les fraudes de votre Directeur administratif et financier ? Quelqu’un dĂ©clare sur Twitter que vos publicitĂ©s sont sexistes, racistes, homophobes ou discriminatoires ? Le directeur d’une filiale rĂ©gionale vous appelle pour vous informer qu’une cliente, une influence prestigieuse et mĂ©diatique, a glissĂ© sur une surface mouillĂ©e et s’est cassĂ©e l’os de la hanche ? La presse Ă  scandale publie une vidĂ©o volĂ©e de vous en charmante compagnie ? Vous ĂȘtes Ministre de l’intĂ©rieur et vous ĂȘtes aperçu en train de danser et d’embrasser une inconnue, le tout sur fond de shots de Vodka ? Le gendarme de la bourse informe les mĂ©dias qu’une enquĂȘte a Ă©tĂ© lancĂ©e sur un de vos produits financiers star ? Un dĂ©putĂ© ou un sĂ©nateur vous attaque publiquement sur le montant des impĂŽts que vous versez vous accusant d’Ă©vasion fiscale alors que vous ne faites que de l’optimisation ? L’autoritĂ© de sĂ©curitĂ© des aliments dĂ©nonce l’utilisation de l’un des principaux ingrĂ©dients de votre produit phare en remettant en cause sa commercialisation ?

Ces dix derniĂšres annĂ©es, mes clients m’ont souvent demandĂ© comment dĂ©termine-t-on qu’un Ă©vĂšnement est une crise ? C’est vrai ça, au fond, comme dirait ma jeune et brillante petite soeur, une crise c’est quoi prĂ©cisĂ©ment ? Est-ce un gros problĂšme – qui doit ĂȘtre suivi avec soin – ou bien est-ce un problĂšme banal, c’est-Ă -dire le genre de choses que les managers gĂšrent au quotidien ?

Ma rĂ©ponse est constante : c’est Ă  vous de juger. Et cette dĂ©cision ne revient qu’à vous, car souvent, face Ă  un Ă©vĂšnement majeur, personne dans l’organisation n’aura l’envie de dĂ©clarer :

« Nous sommes face à une crise : enclenchez la procédure de gestion de crise ».

En gĂ©nĂ©ral, par expĂ©rience, les managers minimisent les crises jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Il ne reste plus alors qu’à limiter les dĂ©gĂąts autant que possible. C’est comprĂ©hensible : on paie les managers pour ĂȘtre optimistes et on part du principe qu’ils savent prĂ©voir et gĂ©rer, mais les crises ne font pas partie de leur quotidien.

Les rĂ©actions aux crises sont subjectives. J’ai vu des organisations qui sont habituĂ©es Ă  ce que tout soit rĂ©glĂ© comme du papier Ă  musique mais qui considĂšrent tout Ă©vĂšnement imprĂ©vu et dommageable comme une crise. À l’inverse, j’ai connu des managers trop confiants qui ont eu tendance Ă  penser qu’ils peuvent rĂ©soudre n’importe quelle situation seuls. Ces deux attitudes sont tout aussi dangereuses pour le communicant de crise que je suis.

En temps de crise, il n’y a pas le temps de faire des erreurs.

La notion d’obligation de rendre des comptes ne s’est imposĂ©e que vers le milieu des annĂ©es 90. John Elkington a lancĂ© l’idĂ©e avec « Personnes, Profits, PlanĂšte » (The Economist, 2009). Avant cette Ă©poque, la plupart des entreprises considĂ©raient qu’elles devaient communiquer avec leurs investisseurs. POINT.

Tout le reste relevait, selon eux, soit du marketing, soit du « service oĂč on se la coule douce », comme l’entreprise GE appelait les RH (Financial Post, 2015).

Quiconque lit ce post pense forcĂ©ment aux parties prenantes de l’entreprise Ă  associer face Ă  une crise.  Pourtant, j’ai Ă©tĂ© stupĂ©fait de constater que la plupart de nos clients chez LaFrenchCom ne dialoguaient pas ou trĂšs peu avec leurs diffĂ©rents publics. C’est pourtant bien l’opinion – ou la perception – que les parties prenantes ont d’une entreprise qui constitue le « permis d’opĂ©rer » de cette organisation.

Si les diffĂ©rentes parties prenantes vous connaissent et vous apprĂ©cient, vous serez bien plus en mesure de sortir d’une crise sans trop de dommages. Si cela n’est pas le cas, vous risquez d’avoir beaucoup plus de difficultĂ©s.

Les grands chefs d’entreprise comme Xavier Niel le savent bien. Pour les autres dirigeants, il faut parfois faire preuve de beaucoup de persuasion. J’ai vu au quotidien que vous devez leur dĂ©montrer que dire et faire ce qu’il faut lors d’une crise n’est pas une question de choix, c’est la seule maniĂšre de protĂ©ger leur rĂ©putation quand leur « permis d’opĂ©rer » est menacĂ©.

Il y a cinquante ans, la valorisation d’une entreprise (au sens boursier) Ă©tait principalement basĂ©e sur ce qu’elle dĂ©tenait de maniĂšre tangible : usines, stocks, brevets, bĂątiments, vĂ©hicules, etc., donc les objets qu’on pouvait toucher et compter. C’Ă©tait la valorisation financiĂšre de l’organisation.

Aujourd’hui, la valorisation boursiĂšre de la plupart des grandes entreprises est essentiellement basĂ©e sur des Ă©lĂ©ments intangibles – leurs marques, leur popularitĂ©, la crĂ©dibilitĂ© de leur parole et de leur stratĂ©gie, l’image de leur PDG et leur rĂ©putation. On a vu, il y a quelques jours, Ă  quel point l’allemand Bayer avait par exemple mis en danger sa rĂ©putation, sa valorisation, sa crĂ©dibilitĂ© et l’image de ses dirigeants avec le rachat de Monsanto. C’est la valorisation extrafinanciĂšre de l’organisation… et elle prend largement le pas sur la valorisation financiĂšre. Pour une raison simple… les investisseurs savent qu’elle fait la pĂ©rennitĂ© d’une organisation !

Warren Buffett, l’un des plus grands investisseurs au monde, a Ă©tĂ© le premier Ă  dĂ©clarer qu’il faut 20 ans pour asseoir une rĂ©putation, mais qu’il suffit d’une seule seconde pour l’anĂ©antir. Il a aussi dit aux managers de la banque Salomon qu’il pouvait excuser les erreurs financiĂšres, mais serait impitoyable si les actions de l’un d’entre eux venaient ternir la rĂ©putation de la banque. Buffett est un investisseur trĂšs expĂ©rimentĂ©. Ce qu’il voulait dire ici, c’est que la rĂ©putation a une valeur financiĂšre bien supĂ©rieure Ă  tout ce qui peut figurer dans un compte de rĂ©sultat (Forbes, 2014). Je partage largement cet avis.

C’est prĂ©cisĂ©ment pour cela que j’ai toujours considĂ©rĂ© que la communication de crise devrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une prioritĂ© par toute personne Ă  la tĂȘte d’une organisation, que ce soit une sociĂ©tĂ© cotĂ©e en bourse, une entreprise publique, ou une ONG. La communication de crise permet de protĂ©ger la rĂ©putation, qui est un actif financier en soi.

Martin Sorrell, homme d’affaires britannique, PDG du groupe de publicitĂ© WPP de 1986 Ă  2018, ne disait pas autre chose quand il dĂ©clarait, Ă  propos de la RSE :

« Certaines entreprises pensent que la RSE, c’est juste pour faire joli. Ce n’est absolument pas le cas : faire ce qui est bien est bon pour le business » (INSEAD, 2010).

La plupart du temps, nous prenons nos dĂ©cisions en un clin d’Ɠil. C’est inĂ©vitable, quand on sait qu’un adulte vivant en Europe de l’Ouest est chaque jour bombardĂ© de 4 000 messages politiques et commerciaux. Nous prenons rarement le temps de rĂ©flĂ©chir sĂ©rieusement Ă  un sujet qui ne nous concerne pas directement.

En tant que partie prenante d’une crise, nous dĂ©cidons rapidement si nous considĂ©rons qu’une entreprise a droit Ă  notre soutien ou si au contraire elle mĂ©rite tous les problĂšmes auxquels elle est confrontĂ©e.

A titre d’exemple, la plupart des gens apprĂ©ciaient John Browne, qui Ă©tait Ă  la tĂȘte de BP (British Petroleum). Ils ne soutenaient pas forcĂ©ment le secteur pĂ©trolier, mais aimaient ce que John Browne disait et la maniĂšre dont il le disait. Ils avaient peut-ĂȘtre mĂȘme aimĂ© son idĂ©e de « Beyond Petroleum » (« Au-delĂ  du pĂ©trole »). Mais la plupart des gens n’aimaient pas Tony Hayward et la maniĂšre dont il a gĂ©rĂ© la crise du Deepwater Horizon. Son comportement a Ă©tĂ© lourd de consĂ©quences pour le « permis d’opĂ©rer » de BP.

La plupart des gens (et des mĂ©dias) ne sont pas convaincus par Richard Branson. Le « permis d’opĂ©rer » de Virgin est mitigĂ©. Mais sa rĂ©action, lorsque le prototype de Virgin Galactic s’est Ă©crasĂ© dans le dĂ©sert du Mojave en tuant le pilote qui Ă©tait Ă  bord, a Ă©tĂ© irrĂ©prochable. Il s’est rendu sur les lieux aussi vite qu’il a pu. Il a communiquĂ© sur Twitter pour dire aux gens ce qu’il faisait. Une fois sur place, il a affrontĂ© les mĂ©dias et a su dire ce qu’il fallait. Beaucoup de gens ont alors changĂ© d’opinion sur Richard Branson et Virgin.

Avec ce blog, je tente de vous offrir des informations et des conseils. J’espĂšre qu’ils seront utiles aux lecteurs. Il est cependant Ă©vident que de nombreuses entreprises n’ont pas les moyens de mettre en place un plan complet de communication de crise, puis de le maintenir Ă  jour.

Mon conseil est donc le suivant : face Ă  une crise, le comportement du PDG est crucial.

On jugera votre entreprise ou votre marque en fonction de la rĂ©action de votre PDG telle qu’elle sera relayĂ©e par les mĂ©dias.

Si vos plans de communication de crise sont approximatifs, mais que votre PDG se comporte bien, vous parviendrez, avec un peu de chance, Ă  survivre Ă  cette crise, sans avoir perdu votre « permis d’opĂ©rer », c’est-Ă -dire ce qui rend acceptable par l’opinion que vous exerciez votre activitĂ©.

Si vos plans sont presque parfaits, mais que votre PDG cache des choses, prend de mauvaises dĂ©cisions ou dit ce qu’il ne faut pas, ou mĂȘme s’il ne dit ou fait rien, vous en pĂątirez probablement.

Si vous n’avez pas le temps ou l’argent nĂ©cessaire pour faire quoi que ce soit d’autre, formez votre PDG Ă  gĂ©rer une situation de crise et Ă  communiquer auprĂšs des mĂ©dias et des parties prenantes de maniĂšre appropriĂ©e.

QU’EST-CE QU’UNE CRISE ? La rĂ©ponse Ă  cette question se trouve dans la rĂ©ponse aux questions suivantes :

  • La vie, la santĂ© ou le bien-ĂȘtre des gens sont-ils en danger ?
  • L’entreprise doit-elle agir pour protĂ©ger la vie, la santĂ© ou le bien-ĂȘtre de quiconque, que la responsabilitĂ© en soit la vĂŽtre ou non ?
  • Les mĂ©dias pourraient-ils prĂ©senter l’organisation (justement ou non) de maniĂšre nĂ©gative ?
  • Comment l’entreprise la plus respectĂ©e de votre secteur rĂ©agirait-elle ?
  • Si vous Ă©tiez partie prenante (employĂ©, client, distributeur), quelle rĂ©action attendriez-vous ?
  • En tant que communicant, quelle rĂ©action vous donnerait l’impression que vous ĂȘtes Ă  la hauteur sur le plan moral et professionnel ?

Une crise est d’abord une mise Ă  l’épreuve d’une organisation. La tentation est toujours forte de faire mine d’ignorer ce qu’il se passe, de repousser Ă  plus tard en espĂ©rant que le problĂšme disparaitra de lui-mĂȘme. Mais ce n’est pas comme cela que les choses se passent.

L’expĂ©rience m’a montrĂ© qu’il vaut mieux traiter un Ă©vĂšnement malheureux comme une crise, mĂȘme si cela s’avĂšre ensuite ne pas ĂȘtre le cas, plutĂŽt que ne rien faire en espĂ©rant que le problĂšme disparaisse de lui-mĂȘme.

Un bon exemple : L’amiral Cunningham
Les Britanniques ont envahi la GrĂšce en 1941. C’était une mauvaise dĂ©cision : la Wehrmacht les a repoussĂ©s, et ils ont alors pris position en CrĂšte, espĂ©rant transformer l’üle en forteresse imprenable. Cela s’est aussi avĂ©rĂ© une mauvaise dĂ©cision : les Allemands se sont rendus maitres de l’üle avec des parachutistes et des planeurs. L’armĂ©e britannique a dĂ» ĂȘtre Ă©vacuĂ©e et la tĂąche en est revenue, une fois de plus, Ă  la Royal Navy.  L’évacuation a Ă©tĂ© un succĂšs, mais pas pour la Royal Navy. Un porte-avions, trois croiseurs et cinq destroyers ont Ă©tĂ© coulĂ©s par la Luftwaffe, avec 2 600 hommes Ă  bord. Au plus fort de la bataille, l’un des officiers servant sous l’amiral Cunningham lui a demandĂ© si cela valait la peine.

Sans hésitation, celui-ci a répondu : « Il faut trois ans à la Royal Navy pour construire un bateau, mais il a fallu 300 ans pour asseoir notre réputation. Nous ne laisserons pas tomber ces hommes. »
(HistoryNet, 2007)

Tout est dit…

Florian Silnicki

 

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