drame d’Aubagne

Effondrement

Les organisations n’apprennent pas toujours de leurs erreurs. Mais parfois, la répétition d’une crise montre un vrai progrès dans sa gestion. C’est le cas des dramatiques effondrements d’immeubles survenus à Marseille et à Lille en 2023.

En 2018, Marseille avait été le théâtre d’un terrible drame, particulièrement mal géré. Le matin du 5 novembre, trois immeubles s’effondrent rue d’Aubagne, dans un quartier populaire du centre-ville, à une centaine de mètres de la Canebière. Bilan : huit morts, des victimes piégées dans les décombres. La municipalité, débordée, évacue les semaines suivantes plus de 4 500 habitants de 578 immeubles jugés dangereux. Trois ans plus tard, des centaines de ménages habitent toujours dans des hôtels ! Des propriétaires expropriés se battent contre de lourdes procédures administratives. Des immeubles restés vides favorisent la délinquance, dont se plaignent les habitants et les commerçants. En 2023, les procédures commençaient à peine à aboutir pour permettre une rénovation et un relogement.

L’accident révèle la vétusté de l’habitat marseillais, déjà largement dénoncée, ainsi que les carences de la gestion de la municipalité, avertie par des experts à de multiples reprises. L’enquête conclura d’ailleurs que l’accident résulte de « manquements majeurs » de la part de la mairie. Le maire LR Jean-Claude Gaudin se dit « effondré par ce qui vient de se passer » mais suggère d’abord – alors que les immeubles effondrés avaient fait l’objet d’arrêtés de péril – que « ce dramatique accident pourrait être dû aux fortes pluies qui se sont abattues sur Marseille ces derniers jours »…

Ce n’est que deux jours plus tard, sous la pression populaire, qu’il reconnaît que l’effort municipal n’est pas suffisant. Il annonce un audit pour vérifier « tout ce qui peut paraître aujourd’hui comme de l’habitat insalubre » et met en cause les propriétaires. Critiqué de toutes parts, Jean-Claude Gaudin, en poste depuis 1995, doit affirmer publiquement qu’il ne démissionnera pas. Plusieurs perquisitions sont menées dans des bureaux municipaux. Et le maire doit avouer, une semaine après les faits, « qu’on n’en a pas assez fait pour éradiquer l’habitat insalubre ». Le 10 novembre, une « marche de la colère » réunit 8 000 personnes, aux cris de « Sang sur les mains, menottes aux poignets » et « Gaudin assassin ». La famille d’un jeune réceptionniste mort sous les décombres porte plainte contre X. Les délogés sont traumatisés.

La mairie cumule toutes les erreurs de gestion de crise et de communication de crise. Aucune forte mobilisation pour démontrer son intention d’action et de transparence, indispensables dans un tel scénario de crise. Qu’attend le public dans pareille situation sensible ? Que les élus réalisent un état des lieux sur le patrimoine communal, afin de montrer que le sujet est pris au sérieux et qu’ils veulent éviter que cette catastrophe ne se reproduise. Qu’ils annoncent des actions pour pousser les bailleurs à faire des travaux, peut-être par une stratégie de « name and shame ». Qu’ils expliquent comment ils comptent tirer des leçons de leurs erreurs – ce qui implique de les reconnaître. Et aussi qu’ils présentent leurs excuses pour leurs défaillances.

Les responsables politiques peuvent aussi montrer qu’ils savent rassembler et mobiliser l’ensemble des forces politiques, par exemple en mettant sur pied une commission locale transpartisane, y compris avec des représentants de l’État, au lieu des altercations politiques qui ont surgi à Marseille après le drame. La mairie, impatiente de tourner la page, n’a rien fait de tout cela et s’est contentée du strict minimum. Le quartier reste durablement meurtri.

En 2020, une expertise judiciaire dresse un cinglant réquisitoire contre l’inaction de multiples acteurs. Lors des élections municipales de 2020, le drame d’Aubagne plane encore. La candidate LR à la mairie de Marseille, Martine Vassal, présidente de la métropole, doit s’expliquer sur son absence au moment des effondrements et sur sa gestion de l’insalubrité dans la ville. Le scandale pèse dans la défaite du clan LR.

En 2023, dans la nuit du 9 avril, le cauchemar recommence à Marseille : une explosion de gaz souffle un immeuble, rue de Tivoli. Le bilan est tout aussi lourd : huit morts. Dans les jours qui suivent, 300 habitants sont évacués. Sauf que cette fois, le maire de gauche, Benoît Payan, déploie une communication de crise exemplaire. Il se rend immédiatement sur place, se tient au côté des secours et les valorise. Il organise la protection d’un périmètre et communique sur cette mesure pour expliquer pourquoi les riverains, qui commençaient à protester, ne peuvent pas rentrer chez eux. Transparence, pédagogie détaillée, l’élu a compris les attentes. Il est aussi avantagé par le fait que l’immeuble détruit ne figurait pas dans la liste des habitations insalubres et venait même d’être rénové.

À Lille, la maire PS Martine Aubry montre la même maîtrise face à un drame du même ordre, lorsque le 12 novembre 2022, en plein centre-ville, deux bâtiments de la rue Pierre Mauroy s’écroulent dans un terrible fracas, provoquant un mort. La maire sera omniprésente. Elle publie immédiatement des communiqués de presse détaillés, donne des conférences de presse et tweete lorsque de nouveaux éléments sont découverts.

Dans les deux cas, les élus font tout pour éviter que la municipalité ne soit pointée du doigt. Les édiles dévoilent la stratégie de gestion de crise mise en œuvre, détaillent les faits dont ils ont connaissance et ce qu’ils comptent faire. Avancement des évacuations de gravats, expertises en cours, calendrier de réouverture de la rue à la circulation, tout est divulgué en temps réel, par souci de transparence et de pédagogie active. Ils vont même jusqu’à se constituer partie civile et déposer plainte pour que le l’action judiciaire se déclenche. Pour mieux éloigner le risque judiciaire, la maire de Lille prend ainsi les devants et porte plainte contre les propriétaires des immeubles pour mise en danger de la vie d’autrui.

Ces deux exemples nous fournissent une leçon pour des crises à venir, par exemple pour les accidents que le changement climatique pourrait entraîner. Informé, le public peut comprendre et adhérer aux initiatives des élus, s’ils savent démontrer leur pertinence.

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