Je vois quotidiennement Ă quel point les crises sont une aubaine pour les journalistes. Ils se livrent Ă une concurrence encore plus acharnĂ©e pour dĂ©crocher LA bonne info, LA bonne interview, qui les distinguera des autres. Les rĂ©dacteurs en chef veulent ĂȘtre les premiers et les mieux informĂ©s dans un contexte de concurrence accrue entre les mĂ©dias.
Dans cette course contre la montre, lâexactitude et la vĂ©racitĂ© des faits peuvent ĂȘtre nĂ©gligĂ©es.
« AprĂšs 10 annĂ©es de communication et de gestion de crises, je vous assure quâil nây a que deux types dâarticles de presse : ceux qui pointent un dĂ©faut ou un problĂšme et ceux qui pointent du doigt les coupables. »
Florian Silnicki
On peut en fait aisĂ©ment comprendre pourquoi les mĂ©dias se montrent souvent hostiles quand ils Ă©voquent les problĂšmes dâune organisation.
Aux yeux des journalistes, quand ils affrontent une crise, les dirigeants dâune entreprise montrent trop de mauvaise volontĂ© Ă accepter leur responsabilitĂ© et mettent trop de temps Ă rĂ©agir, surtout dans les grandes entreprises qui ne sont pas habituĂ©es Ă lâĂ©chec, quel quâil soit.
Les mĂ©dias traditionnels ont tendance Ă considĂ©rer toutes sortes de crises sâabattant sur une entreprise comme un dĂ©sastre de communication, mais je prĂ©fĂšre les sĂ©parer en deux catĂ©gories. La premiĂšre catĂ©gorie concerne les entreprises dont lâerreur donne lieu Ă une couverture mĂ©diatique dĂ©favorable. La deuxiĂšme catĂ©gorie porte sur les organisations qui gĂšrent si mal un problĂšme ou rĂ©agissent de maniĂšre si inappropriĂ©e que cela aggrave les choses en matiĂšre de communication.
Toutes les organisations commettent des erreurs dâordre opĂ©rationnel de temps en temps, mais les crises ne se produisent que quand des gens sont blessĂ©s ou mis en danger, que des clients sont particuliĂšrement touchĂ©s, ou que le « permis dâopĂ©rer » de lâentreprise est remis en cause. Mais les crises peuvent aussi ĂȘtre auto-infligĂ©es et dĂ©couler dâun manque total de professionnalisme dans la gestion dâun problĂšme.
Les mĂ©dias, qui sont toujours Ă la recherche dâarticles Ă sensation, Ă©prouvent bien peu de sympathie pour les organisations en difficultĂ©, mais ils se montreront encore plus agressifs si lâorganisation ne communique pas ou peu avec eux, par le biais de son PDG.
Les « rĂšgles dâor » pour gĂ©rer une crise sont :
1. RĂ©agir rapidement. Comme expert en communication de crise, je conseille Ă mes clients ceci : Ne dites rien tant que vous ne disposez pas des faits, mais ne gardez pas le silence non plus – car sinon quelquâun dâautre sâexprimera Ă votre place. Le silence fait de vous un coupable.
2. Le dirigeant (le PDG, le ministre ou le directeur gĂ©nĂ©ral), doit ĂȘtre visible, sur les lieux pour montrer la mobilisation de l’organisation.
Le dirigeant doit prendre ses responsabilitĂ©s pour le problĂšme, et vite, en faisant preuve dâempathie et de leadership. Les avocats de lâorganisation pourront conseiller dâĂ©viter dâendosser toute responsabilitĂ©, mais cela nâĂ©quivaut pas Ă sâabsoudre de tout ou Ă ne pas exprimer la moindre sympathie pour les victimes. La prise de responsabilitĂ© et lâempathie sont deux aspects cruciaux pour Ă©viter que la situation empire. Le dirigeant doit faire preuve dâintelligence Ă©motionnelle et Ă©couter les informations et les conseils de son Ă©quipe de conseillers en communication.
Une fois les premiĂšres 24 heures Ă©coulĂ©es, les mĂ©dias exigeront plus que de la sympathie. Ils voudront savoir ce que lâorganisation compte faire pour remĂ©dier Ă la situation.
Le plan de gestion de crise entre alors dans sa deuxiĂšme phase, et il reste un long chemin Ă parcourir. Les mĂ©dias doivent ĂȘtre maintenus informĂ©s tout au long du processus.
J’ai vu que mes clients, y compris des PDG de grandes entreprises cotĂ©es en bourse, confrontĂ©s au type dâanimositĂ© qui est celui des mĂ©dias perdent parfois courage. « On nây arrivera jamais ! ». Je leur rĂ©ponds SI, vous y arriverez, mais il faut rester maitre de soi, bien comprendre ce que les mĂ©dias recherchent, et sâentrainer Ă sâadresser Ă eux avec le ton et les mots qui leur inspirent le respect.
Les journalistes sont des ĂȘtres humains comme vous et moi. Ils nâauront pas envie de sâen prendre Ă vous sâils pensent que vous faites de votre mieux, que vous vous efforcez dâaider et que vous vous comportez comme une personne digne de ce nom, et non comme un robot. Donc, votre PDG peut gagner le soutien des mĂ©dias sâil se montre proactif et prend ses responsabilitĂ©s.
Certains PDG le font naturellement, mais ils sont une minoritĂ©. Il faut bien comprendre que la situation les rend trĂšs nerveux – leur carriĂšre est en jeu. Ils se sentent isolĂ©s. Une crise est un choc, et la rĂ©action naturelle est de se cacher. Aussi, quand les dirigeants sâadressent aux mĂ©dias, ils ont souvent tendance Ă se rĂ©fugier dans des expressions figĂ©es.
Comment (ne pas) sâexcuser : pourquoi le ton de la voix compte plus que tout
On peut considĂ©rer la crise traversĂ©e par United Airlines en avril 2017 comme la mĂ©thode Ă ne pas suivre pour sâexcuser.
Quand un client de United Airlines, le Docteur David Dao, a Ă©tĂ© expulsĂ© manu militari dâun avion, les vidĂ©os rĂ©alisĂ©es par les autres passagers, choquĂ©s, ont fait le tour des rĂ©seaux sociaux et dĂ©clenchĂ© un vĂ©ritable dĂ©sastre de communication et d’image pour la compagnie.
United a réagi par différentes actions plus catastrophiques les unes que les autres et qui ont rapidement empiré les choses.
Les « excuses » initialement prĂ©sentĂ©es par le PDG, Oscar Munoz, dans lesquelles il demandait pardon pour avoir dĂ» « dĂ©placer » des clients, et pas pour les blessures infligĂ©es au Docteur Dao, ont Ă©tĂ© dĂ©crites comme insensibles et inadaptĂ©es. Puis, il y a eu la fuite dâun message envoyĂ© en interne aux employĂ©s de United Airlines, dans lequel le passager blessĂ© Ă©tait dĂ©crit comme « perturbateur et agressif », et remerciant les employĂ©s dâavoir respectĂ© la procĂ©dure (Business Insider, 2018).
Munoz a ensuite qualifiĂ© lâincident de « vraiment horrible » et a prĂ©sentĂ© ses « plus sincĂšres excuses ». Mais ses excuses venaient trop tard et Ă©taient insuffisantes pour la rĂ©putation et les rĂ©sultats financiers de United Airlines. Le titre en bourse avait perdu un milliard de dollars et 40 % des Millenials avaient dĂ©clarĂ© quâils Ă©viteraient dorĂ©navant de voyager avec United Airlines.
La leçon Ă en tirer est quâil faut bien faire les choses du premier coup si votre service client ne se montre pas Ă la hauteur. Excusez-vous vite, excusez-vous pleinement et excusez-vous directement auprĂšs de ceux qui ont Ă©tĂ© affectĂ©s. Faites preuve de jugeote : il y a une diffĂ©rence entre dĂ©fendre vos employĂ©s et insulter ceux qui ont Ă©tĂ© blessĂ©s.
Comme le montre cet exemple, les mots choisis et le ton employé comptent plus que tout. Le communiqué de Munoz semblait méprisant, peu sincÚre et insensible.
Les excuses doivent dĂ©montrer votre empathie et ĂȘtre (ou au moins sembler) sincĂšres. Dire « nous sommes dĂ©solĂ©s et nous nous sommes trompĂ©s » reste la meilleure maniĂšre de sâexcuser, quâun humain doit Ă un autre humain.
GARDER LES TIERCES PARTIES INFORMĂES
Les journalistes sont toujours censĂ©s demander une rĂ©action ou un commentaire aux tierces parties. On peut sâattendre Ă ce que les journalistes Ă©toffent leurs articles sur une crise en demandant aux experts et autres commentateurs ce quâils en pensent.
Il est donc dâautant plus important de tenir informĂ©es toutes les parties prenantes, heure par heure. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, dites-leur la mĂȘme chose que ce que vous dites aux mĂ©dias. Les gens auront moins tendance Ă vous critiquer si vous avez pris la peine de les tenir au courant.
LA MESURE DU SUCCĂS D’UNE COMMUNICATION DE CRISE
Lors dâune crise, les mĂ©dias se montrent gĂ©nĂ©ralement intraitables, agressifs, et critiques. Mais vous ĂȘtes en droit dâattendre quâils informent avec exactitude le public de ce qui sâest produit, de ce que vous faites pour gĂ©rer la situation et de ce que vous dĂ©clarez.
Votre objectif est que les mĂ©dias diffusent des informations correctes et objectives. Ce sera probablement le cas si vous ĂȘtes perçu comme proactif, transparent et que vous semblez maitriser la situation.
Cela ne sera sĂ»rement pas le cas, en revanche, si les mĂ©dias pensent que vous essayez de leur cacher quelque chose ou de faire de lâobstruction. Cela ne sera pas non plus le cas si vous ne dites rien, si vous prenez trop de temps Ă rĂ©agir ou que vous diffusez des communiquĂ©s inutiles.
Les professionnels de la communication savent bien quâune crise attire forcĂ©ment lâattention des mĂ©dias. Et ils savent bien, quâon ne peut pas tromper les mĂ©dias ni se dĂ©barrasser dâeux.
Comme communicant, face Ă la crise, bien souvent, la difficultĂ© rĂ©side dans le fait de convaincre son client et employeur quâĂȘtre proactif et transparent est la seule maniĂšre dâĂ©viter une « catastrophe de communication, d’image et de rĂ©putation ».
Pourquoi les mĂ©dias nâaiment pas le comportement des entreprises en temps de crise
Les experts en communication savent que les mĂ©dias alimentent les crises. Câest leur rĂŽle.
Lâemploi de la novlangue du management est souvent un obstacle Ă la bonne communication de crise. Pourquoi les managers sâexpriment-ils de maniĂšre si alambiquĂ©e ? Pourquoi donnent-ils souvent lâimpression de vouloir cacher ce quâils veulent dire ?
Je me demande pourquoi ils ne peuvent pas parler comme tout le monde. Il y a si peu dâentreprises qui comprennent quâil faut sâexprimer simplement quâon est surpris quand on en trouve une.
Les Ă©checs successifs dans la communication de crise et dans la gestion de crise de VW sont dus au fait que ses dirigeants ne parlent pas comme des ĂȘtres humains.
Florian Silnicki
Lors dâune crise, les journalistes se font rapidement une idĂ©e, basĂ©e largement sur ce que le PDG dit et fait. Si celui-ci emploie cette novlangue du management, alors les mĂ©dias se diront immĂ©diatement quâil essaie de cacher quelque chose.
Les journalistes savent que le jargon, la terminologie semi-juridique et les constructions de phrase alambiquées sont autant de moyens de cacher la vérité.
En Ă©tant honnĂȘte et transparent, vous aurez beaucoup plus de chance dâĂȘtre traitĂ© Ă©quitablement par les mĂ©dias. Commencez-donc par utiliser un langage clair, normal.
JâĂ©vite de lancer la pierre aprĂšs avoir eu mon lot dâĂ©gratignures de la part des mĂ©dias chez mes clients. Je sais ce quâon ressent quand on Ă©prouve les premiĂšres secousses sur Twitter, puis le vrai tsunami, abondamment alimentĂ© par la presse Ă scandale ou les articles de la presse satirique ou celle d’investigation.
Bonne nouvelle, j’ai, dans chaque crise traversĂ©e par mes clients, toujours pu constater comment on peut rediriger la colĂšre des rĂ©seaux sociaux…